Fidèlement installé dans le confort de mon bureau dominant la vallée de Mamré à Kiriat Arba, ville mitoyenne de Hevron, je suis toujours aussi empressé de retrouver mes travaux, mes lectures, mes quêtes de savoir, mes pensées vagabondes accompagnées par mes écrivains et maîtres favoris.
Toutefois, jour après jour, seul l’ouvrage et les écrits d’un sage rabbinique, singulier, bouleversent ma vie, ce sont ceux du Rav Avraham Itshak HaCohen Kook זצ“ל. Une œuvre monumentale, pénétrant l’ensemble des mondes littéraires, poétiques, ésotériques, philosophiques et exégétiques, tant au vu et au su de l’Histoire ancienne que de l’Histoire moderne. Il est, à mon humble avis, le Maître incontestable et incomparable du renouveau Hébraïque, un révolutionnaire du monde des idées qui, sans modifier pour autant son essence spirituelle profonde, ouvre une voie lactée vers des horizons encore jamais atteints.
Sa pensée, consignée à jamais, offerte aux savants, aux érudits et aux curieux de son dessein toranique, ésotérique et philosophique, son verbe et sa verve transparaissent à travers les sujets, les conjugaisons et les compléments d’objet construits par le délié de sa plume et la densité de son encre. Chaque texte, chaque ouvrage, chaque aphorisme résonnent en moi et me ravissent avec d’autant plus de pléthore et de pénétration vers un entendement saisissant le sens caché et pluriel de notre présent.
Je suis né dix ans après l’horreur et l’innommable catastrophe de la Shoah, sept ans après l’incroyable et miraculeuse renaissance de la nation d’Israël. Remarié à mon peuple et ma terre depuis 1979, je découvre, lis, étudie, entends et comprends peu à peu ce maître inégalable, seul vrai témoin vivant et agissant au sein même de l’Histoire, de la période la plus extra-ordinaire! Sur cette terre ancestrale, avec un recul sagement probant et éminent, j’en conviens, il me transporte année après année vers l’univers de l’infinie totalité, vers un monde en devenir d’harmonie, vers une terre où le ‘Tous’ de l’Humanité rencontrerait le ‘Tout’ de la Création.
Le monde du chaos est tout ou partie, notre réalité, une réelle obscurité et un mal qui sévissent depuis toujours mais non à jamais car les forces de vie inhérentes à la Création ne peuvent le supporter. Troublé par tant de discussions, de divergences et de doutes d’une Torah réduite au culte pieux et à la religion piétiste, je sollicite un savoir plus référant à la ‘Totalité’ de la Création et des créatures. Je souhaite comprendre foncièrement le sens de l’élection d’Israël comme peuple témoin du Projet Divin, une approche plus plénière et plus conséquente de la Torah. Je ne peux me résoudre à me séparer de l’autre, minérale, végétale, animale et bien sûr humain quel que soit sa couleur, sa race ou son sexe.
Tous mes efforts s’orientent nécessairement vers la révélation d’une totale plénitude, beauté de l’harmonie universelle où rien ne se dérobe au-devant des différentes volontés, pensées, opinions, mais conduit chaque-un de nous vers le vaste océan de la lumière infinie, là où toutes les choses trouvent leur unité, où tout est anobli et magnifié, tout est sanctifié.
N’est-il pas venu le temps de me débarrasser de mon exil comme de mes seules préoccupations domestiques?
Cessons la petitesse, c’en est trop, cela a assez duré, ils le voulaient et j’avais accepté d’être réduit à la portion la plus congrue de ma personnalité, mettant mal à l’aise mon corps et mon esprit. Je veux dorénavant élever ma pensée et ma volonté, comme mes affections foncières, vers un universel, une implication envers toute l’Humanité, depuis mon peuple Israël jusqu’aux amitiés de tous et du tout. S’il me faut sans nul doute renforcer ma vision de l’universel, mon approche de la totalité et ma conception de l’infini, mon enchantement du monde m’offrira peut être le mérite de l’Intuition Divine.
Je poursuis inlassablement mes lectures et sens mon âme se confondre, me voici touché au plus profond de moi-même par cette connaissance intuitive, inaccoutumée. J’en pressens soudain toute la puissance et la densité mais, dans un même temps, je découvre ma dissonance d’avec un tel épanouissement de l’âme et des possibilités de perfection à me couper le souffle, tant les choses deviennent claires et limpides.
Sur le chemin de mon retour, voilà plus d’une trentaine d’années, j’aspire à chacun de ces moments où mon orgueil tend à vouloir se libérer et dépasser les limites primitives de l’existence, pouvoir ainsi nourrir l’ensemble de mon histoire d’un plus haut degré de spiritualité. Ce retour aux sources de ma causalité première appartient à l’impulsion vitaliste, inhérente à la vie, il témoigne en cela de sa double finalité: donner une raison à la finitude élémentaire et un suprême dessein à l’existence Toranique.
Voici un Rav, un Cohen, une éminence religieuse capable d’assumer le double rôle de prêtre et d’éducateur sans jamais rien omettre de l’un ou de l’autre car empli d’une sage connaissance réunissant le particulier et l’ensemble. Un savoir pluriel inégalé, touchant à toute l’étendue des sciences profanes comme des sciences sacrées. Une profondeur dans la perception du mouvement, une sensibilité abyssale pour la nature, une logique intuitive pour le temps et la durée. Il réintroduisait les notions cardinales de peuple, de nation, de collectivité et permettait ainsi de transcender le culte religieux du seul individu vers une appréciation plus normative de l’élection d’Israël et du don de la Torah.
C’était une âme enflammée dont l’inspiration, la verve, la grâce et l’esprit instruisaient, édifiaient et illuminaient vivement la toute nouvelle implantation juive en ‘Palestine’. Il y avait en lui cette capacité à devenir un leader spirituel et politique audacieux, il joua d’ailleurs un rôle essentiel dans le processus conduisant à la Déclaration Balfour en 1917. De retour en terre sainte après la première guerre mondiale, il fut nommé premier grand rabbin ashkénaze, la fonction à ce jour, prenait une dimension toute particulière au présent de cette renaissance et certainement à la veille d’un Etat indépendant et souverain, en marche.
Rony Akrich