“Certains juifs américains vivent une vie confortable dans leur pays et ne comprennent pas l’Etat d’Israël, parce qu’ils n’envoient pas leurs enfants à l’armée”. Ces quelques mots de la vice-ministre des Affaires Etrangères, Tsipi Hotobelly, ont failli lui coûter sa place au gouvernement. Le Premier Ministre s’est empressé de les condamner et T. Hotobelly a vite fait de devoir s’excuser auprès des “juifs américains”.
Cette saga politico-diplomatique qui a agité les relations entre Israël et les Juifs des Etats-Unis, nous a amenés à nous interroger sur la légitimité ou non de la parole des Juifs de Diaspora dans les débats internes israéliens.
Pour ouvrir ce dossier, LPH a interrogé Joël Mergui, le Président du Consistoire central israélite de France.
Le P’tit Hebdo: Pensez-vous qu’il est légitime pour les Juifs de Diaspora d’exprimer leur point de vue sur les débats internes israéliens, voire de vouloir les influencer?
Joël Mergui: J’ai toujours considéré qu’il était complétement légitime pour les Juifs de Diaspora d’intervenir sur tous les sujets qui concernent le caractère juif de l’Etat d’Israël en général et sur Jérusalem en particulier. Pendant 2000 ans, aucun Juif du monde n’a oublié Jérusalem, nous avons toujours prié dans sa direction, nous rappelons toujours son souvenir. Nous avons donc aussi notre mot à dire.
En revanche, je pense qu’il convient d’avoir beaucoup de réserves quand il s’agit de la sécurité d’Israël, lorsque l’on n’est pas soi-même citoyen israélien. Les généraux et les ministres israéliens sont des experts en la matière, il est normal d’écouter leur parole.
Ceci étant, ma position, sur ces sujets aussi, a tendance à évoluer ces dernières années avec l’augmentation conséquente du nombre de Juifs français en Israël et du nombre de familles françaises qui ont des enfants en Israël. De fait, ils contribuent à la sécurité de l’Etat et je ne vois donc pas comme une aberration que l’on puisse s’exprimer sur ces sujets aussi.
Lph: Pensez-vous que cette parole, si elle peut être considérée comme légitime, a des chances d’être entendue?
J.M.: Nous sommes en permanence en contact avec les autorités israéliennes, Pour autant, je déplore effectivement, le manque de considération des Juifs de France et du judaïsme français. J’ai le sentiment qu’Israël prend davantage en compte les desiderata des Juifs américains, que ceux des Juifs français, alors même que ces derniers vouent un amour et un respect incomparables à l’Etat juif. La parole des Juifs de France n’est pas entendue à la mesure de ce qu’elle devrait représenter.
Lph: Pour remédier à ce problème, pourquoi ne pas créer un statut officiel de Juif de Diaspora qui lui permettrait de peser dans le débat démocratique israélien?
J.M.: On a évoqué, il y a quelques temps, l’idée d’un parlement des Juifs de Diaspora. En effet, la consultation, tout au moins, des responsables des grandes communautés juives dans le monde, ne me parait pas choquante. Il est fondamental, par ailleurs, que les Juifs d’Israël et les Juifs de Diaspora échangent en permanence. La réflexion mérite d’être menée.
Lph: Le consistoire accompagne les olim jusqu’à leur départ de France, envisagez-vous, de les suivre encore après l’alya?
J.M.: Depuis 10 ans, j’organise, chaque année une cérémonie d’au revoir pour les olim en présence de Nathan Sharansky, de la ministre de l’alya et de l’intégration et de l’Agence Juive. Lors de cette cérémonie, nous leur transmettons symboliquement la liste des olim: ils étaient sous notre responsabilité, ils passent désormais sous la leur. Il y a déjà beaucoup d’actions pour les Juifs de France en Israël, notamment concernant les mariages, bar mitsvot ou enterrements. A cela s’ajoute le phénomène de création de plus en plus de synagogues francophones. On sent que les olim ont, contrairement à autrefois, envie de reproduire leurs modèles, de garder leur spécificité tout en s’intégrant. Et je dirais même que cela peut créer les conditions pour une meilleure intégration. C’est pour toutes ces raisons, que nous réfléchissons à un accompagnement consistorial. On pourrait penser à nommer le Consistoire, Consistoire de France et d’Israël, comme à une époque, il s’appelait Consistoire de France et d’Algérie.
Lph: Pour mener ces actions, vous pouvez compter sur un conseil d’administration largement derrière vous. Les récentes élections partielles ont permis l’arrivée de 12 membres sur 13 élus qui vous soutiennent ouvertement.
J.M.: Effectivement, ces élections ont prouvé la confiance de la communauté et la très grande responsabilité qui pèse sur mon mandat. Même si malheureusement, le nombre de votants n’était pas aussi élevé que je l’aurais souhaité, je remarque qu’aucune liste n’a fait campagne contre notre bilan. Notre mouvance se veut à l’image du judaïsme français: ouvert et respectueux de la hala’ha, sioniste et ardent défenseur de la liberté religieuse en France. Nous traversons une période difficile de l’histoire de la communauté juive, nous devons faire notre maximum pour conserver la vitalité de notre communauté et accompagner ce que je nomme l'”alya intérieure”, c’est-à-dire, rapprocher ceux qui sont éloignés.
Outre la mission de rendre plus efficaces les services du Consistoire, celle de défendre chaque Juif et de renforcer les liens avec Israël, il nous incombe aussi de promouvoir un nouveau leadership, celui de demain. Ma responsabilité c’est de montrer à la société française et aux Juifs que le judaïsme français est ouvert, sur la jeunesse, sur la place des femmes. Nous devons faire émerger une nouvelle génération qui s’implique, qui se sente concernée. Je compte utiliser mon expérience pour identifier celles et ceux qui sont les plus à même d’être les leaders communautaires de demain.
Lph: D’où vous vient cette énergie pour une mission que vous remplissez depuis de nombreuses années maintenant?
J.M.: De mon lien à Israël. Mes parents ont toujours été sionistes. Une partie de la famille de mon père vivait en Israël et aujourd’hui ce sont mes enfants et mes petits-enfants qui y vivent. C’est ce lien qui a inspiré mon militantisme: pendant que je passais mon bac, que je faisais mes études, mes cousins étaient à l’armée. Eux donnaient leur vie, je devais au minimum donner de mon temps pour la communauté. C’est le message de mon engagement, sa source et ma motivation quotidienne.
Propos recueillis par Guitel Ben-Ishay