La chaîne nationale de télévision syrienne a annoncé la liquidation du dirigeant de l’État islamique, Abou Bakr al-Baghdadi. Si cette information se révèle exacte, il s’agit d’un coup très dur pour cet État (on peut difficilement parler d’une « organisation », quand on sait qu’au fait de sa gloire cet État s’étendait sur une superficie semblable à celle de l’Italie et comptait environ huit millions d’habitants).
Mais, même s’il s’agit d’un coup dur, il n’entraînera pas la suppression de l’islam radical. Il n’entraînera pas non plus la liquidation de l’idée du califat. Le dernier calife avant Al-Baghdadi a été le sultan Abdülmecid II, chef de l’Empire ottoman. Il a été expulsé en 1924 par Atatürk, père de la révolution anti-islamique en Turquie. L’abolition du califat amena à la naissance du mouvement des Frères musulmans. Depuis, il y a eu des tentatives infructueuses de renouveler le califat, mais la tentative la plus significative est celle d’al-Baghdadi, qui a réussi à établir un État avec une armée, une police, des ministères de l’éducation, de la santé, et toutes les fonctions gouvernementales classiques.
Pourquoi l’idéal du califat revêt-il une telle importance ? La clef réside dans le droit musulman, selon lequel le but est la domination politique et juridique du monde par l’Islam. Mais seul un calife peut déclarer et lancer un djihad offensif. La guerre menée par al-Qaïda contre les Américains était une guerre défensive : les États-Unis attaquent des pays musulmans, et donc les citoyens américains, qui ont choisi démocratiquement leur président, portent la responsabilité de ces attaques, et sont passibles de mort. La guerre menée par le Hamas est aussi une guerre défensive : les Juifs ont bâti leur État sur une terre d’Islam (la terre d’Israël ayant été conquise au 7ème siècle par les troupes musulmanes, elle demeure à tout jamais une terre d’Islam). En conséquence, les attentats meurtriers contre des citoyens israéliens sont, selon le droit musulman classique, des actes défensifs, obligation individuelle incombant à chaque Musulman (fard ‘aïn). Ces guerres de « défense », quelle que soit leur importance, ne permettent pas de réaliser l’idéal, la domination du monde par la loi d’Allah. Pour cela, il faut impérativement ressusciter le califat. Et al-Baghdadi, en renouvelant cette institution, a posé les bases de la concrétisation du rêve islamique. C’est la raison pour laquelle des milliers de jeunes musulmans affluent du monde entier pour se battre dans les rangs de Daech : ils participent à la réalisation du projet « messianique » de l’Islam.
Du fait que personne n’est prêt à se mesurer à la racine du problème, à savoir l’enseignement de l’Islam classique, qui impose la domination du monde par l’Islam, il faut s’attendre à ce que d’autres Musulmans se lèvent et tentent de réaliser ce projet, en nommant un calife à la place du calife al-Baghdadi. Ceux-ci viendront probablement d’abord des rangs de l’État islamique : quand un calife meurt, de mort naturelle ou touché par les flèches de l’ennemi, le droit musulman fixe qu’il faut le remplacer par un autre dirigeant. C’est le sens littéral du mot « calife », qui signifie le « remplaçant ». Cette coutume a commencé après la mort du fondateur de l’Islam, Muhammad, et n’a pas changé depuis. Si les forces occidentales et les forces chiites parviennent à totalement liquider l’État islamique, le califat renaîtra probablement quelque part ailleurs dans le monde : du Maroc au Pakistan, les sites potentiels ne manquent pas.
Le gouvernement du président américain Trump a mis en place une stratégie dans laquelle les États-Unis imposent l’arrêt absolu du soutien des États musulmans au terrorisme. C’est un grand pas en avant, mais à lui seul il ne résoudra pas le fond du problème. La seule solution complète consiste dans l’abandon total, tant par les dirigeants religieux que par les dirigeants politiques musulmans, de l’idée même du califat, et l’arrêt de son enseignement.
La liquidation du calife, si elle a effectivement eu lieu, amènera la nomination d’un autre calife. Ce qu’il faut, c’est liquider l’idée du califat.
L’auteur de ce texte, Ephraïm Herrera est docteur en histoire des religions, et a publié « Le djihad, de la théorie aux actes », aux éditions Elkana, ainsi que « Les maîtres soufis et les peuples du livre » aux Éditions de Paris.