Si tôt le matin levé, notre homme enfourche à la hâte sa monture. Le voyage sera long depuis les montagnes obscures de l’orient jusqu’à Moab. Balam a le temps de méditer sur la mission que lui a confié Balaq, roi des mots abîmes.
L’avancée d’Israël près de la terre promise sème la panique alentours. Sihon et Og, les rois de deux super puissances sont tombés. Pour Balaq, une guerre conventionnelle contre Israël serait vouée à l’échec. On ne peut lutter contre un peuple dont la multitude couvre l’œil de la terre et qui déracine tout sur son passage comme un taureau. Il faut avoir recours pour réduire Israël à l’arme de la parole, à la propagande malfaisante et à la guerre psychologique. Jeter la malédiction sur Israël est la mission confiée au magicien du verbe noir, au spécialiste incontesté de la mal édition de la presse.
Balam sait qu’il mérite le titre international de monsieur blâme. Il est fier d’avoir figuré parmi les anciens conseillers du pharaon, inspirateurs du génocide. Il est fier aussi de jouir du don de la prophétie que D lui a accordé pour lui permettre de devenir le Moïse des nations. Peine perdue, c’est l’appât du gain qui fait trotter monsieur Bel Ame sur son ânesse. Il contemple avec orgueil la délégation des plus hauts dignitaires de l’Etat qui le précédent dans la plus pure tradition des processions honorifiques. Les princes de Moab sont personnellement venus le chercher à domicile. Tout eut été parfait s’il fallait bénir Moab plutôt que de maudire Israël mais notre intellectuel sans moralité ne peut rester sans mot dire. Il fera boire à Israël la coupe de sa verve haine jusqu’à la lie.
Chaudement installé sur son ânesse il ne ressent pas les dos d’ânes qu’elle lui évite. Sa stratégie en trois points est d’une parfaite conception. Il déversera sous trois angles différents ses imprécations contre l’élite du peuple dans les « Hauteurs de Baal », contre la base du peuple dans le « champ des sentinelles » et donnera le coup de grâce depuis la « crête du désert » sur toutes les perspectives d’avenir d’Israël.
De ces trois hauteurs panoramiques il lancera ses mots flèches et sa bouche sera plus acérée qu’un glaive. Il exploitera le temps le plus propice, celui où la clémence divine est défaillante pour une fraction de secondes pour dire en un mot « détruis-les ». Cet expert en divination sait que le courroux divin est signalé par le coq dont la crête rouge blanchit brusquement. L’attaque sur trois fronts sera imparable. Aussitôt dit aussitôt fait, l’arroseur est arrosé. Sa fidèle monture engagée dans une impasse étroite est soudainement prise de panique et rue à trois reprises, blessant par la même la cuisse de son cavalier. Cette attitude inexplicable témoigne que notre ânesse jouit d’un instinct plus développé que la prétendue voyance de son maître. Les yeux de l’ânesse ont vu le danger qui barrait la route sous la forme d’une créature céleste brandissant un glaive. Cette apparition échappe à la clairvoyance de notre devin qui jette toute sa hargne sur sa monture en la bastonnant à trois reprises. L’incroyable se produit lorsque l’ânesse parlant d’une voix humaine exprime son amertume et ses doléances à cet ingrat qu’elle a dû supporter toute sa vie. L’image de l’ange s’impose alors à l’œil unique de Balam, il comprend qu’une ânesse qui parle vaut mieux qu’un mage qui annone. Le plus âne des deux n’est pas celui qu’on pense et notre homme ridiculisé ne mérite même pas le droit d’ânesse. Que l’ânesse voie l’être ange ne lui paraît pas bizarre alors que lui n’est même pas capable de faire l’âne pour avoir le son.
La présence menaçante de l’ange n’est pas dissuasive, il ira jusqu’au bout du chemin qu’il s’est tracé sachant qu’il dépassera toutes les borgnes. Il veut prouver qu’il est plus âne alphabet que son baudet et que l’âne à logique est supérieur à l’âne atomique. Il se prend alors pour un baal ânesse et aura Beau Suer pour dire son oraison funèbre. Comme Syrien n’était, notre louche personnage ressassait les maux dans sa bouche. Maudire ce que D bénit, permettre ce que D interdit c’est son défi.
Il pense : « Abraham n’est à l’origine qu’un idolâtre ».
D lui fera dire : « Leurs pères sont comme des montagnes et leurs mères comme des collines ».
Il pense : « Ce peuple est frappé d’isolement ».
D lui fera dire : « Ce peuple résidera dans sa sublime singularité incomparable parmi les nations. Partager mon futur avec les hommes de droiture, tel est mon désir. Les tentes de Jacob ont la forme de la pudeur et les sanctuaires d’Israël abritent la présence divine. Le schofar est le porte-parole d’un D qui ne trompe pas. Ce peuple connaît les œuvres de D et dédaigne les outils de la divination. Nuit et jour il se dresse comme un lion pour dire les louanges du Créateur. Elle n’est pas si proche mais je la vois l’étoile de Jacob. Tremble O Moab, tu cours à ta ruine Amaleq ».
Le voyage est terminé, Balam fait face à Balaq. Il dira ce qu’il pense mais D pensera ce qu’il doit dire. Comme c’est étrange, les deux hommes réunis constatent qu’avec la fin de leurs deux noms réunis ils peuvent composer la signature de l’ennemi numéro un d’Israël:
Bal Am + ba Laq = AmaLeq
Souviens-toi, Israël souviens-toi que la morsure d’un ami vaut mieux que le baiser d’un ennemi. Le fiel du prophète d’Israël Ahia ha Chiloni qui nous a comparés à un roseau ballotté par les flots est plus doux que le miel de Balam qui nous a comparés au puissant cèdre déraciné par la violence du vent. Entre le bois de cèdre qui peut devenir la cognée d’une hache tranchante et le roseau souple et fragile qui écrit le sepher Thora, j’ai choisi.
Rav Yaakov Guedj