Méïra a longtemps hésité. Comme tous les rescapés de la Shoah, elle a mis de nombreuses années avant de raconter cette période sombre. Finalement en 2010, soit 70 ans après, elle a décidé de tout dire dans un livre: “Comme un tison sauvé du feu”. Aujourd’hui, elle a le courage de franchir encore un cap et s’ouvre à la presse francophone en Israël. Son témoignage est important, parce qu’il est l’un des rares que l’on peut encore obtenir d’un survivant et parce qu’il est prononcé depuis Jérusalem.
Miraculée
Méïra est née quelques mois avant la grande rafle du Vel d’Hiv du 16 juillet 1942. ”Mon père, mes grands-parents et mon oncle de 17 ans ont été raflés le 16 juillet”, raconte-t-elle, ”Je ne les ai donc pas connus. Ce que je sais, je ne l’ai appris que 50 ans après, de la bouche de ma grande sœur. On ne parlait pas après la guerre, je n’ai eu que quelques bribes de sa part”.
Méïra a miraculeusement échappé à la rafle. ”Les policiers français sont venus à la maison chercher ma mère et moi. A cette époque, la loi n’autorisait pas d’emmener les enfants de moins de deux ans. J’ai pourtant été emmenée et c’est ce qui a sauvé ma mère. Nous avons été emmenées au commissariat. Je n’arrêtais pas de hurler, de pleurer. A bout de nerfs ou par humanité, le commissaire a dit à ma mère de sortir avec moi pour m’acheter du lait. Il lui a fait comprendre de ne pas revenir”. Son père, son oncle et ses grands-parents ont été pris, et ont été extermines à Auschwitz. “Ma mère est restée à Paris pour travailler. Ma sœur et mon frère étaient cachés chez des paysans dans le Loiret. J’étais moi aussi cachée toute seule pendant toute la guerre”.
Apres la guerre, Méïra fréquente le CCE (Commission Centrale de l’Enfance) qui s’occupait des enfants de déportés. Elle s’y rendait une fois par semaine. L’organisme proposait aux enfants de la guerre, un encadrement, des activités,… ”Nous n’avions aucune pratique religieuse. Le CCE était communiste. Mais nous faisions des beignets pour Hanouka, nous faisions un spectacle autour de l’histoire de Pourim sous forme de conte et on apprenait le yiddish. On ne parlait pas d’Israël mais de l’URSS, de l’idéal communiste”.
C’est tout de même la CCE qui l’aide à avoir conscience de son identité juive. ”Je me suis rattachée a cette identité en grandissant. Je n’ai pas connu mon père, mais c’est lui qui m’a toujours aidée à me renforcer dans cette appartenance au peuple juif. Il savait écrire l’hébreu et avait des connaissances dans la pratique du judaïsme”.
”Décachée à Jérusalem”
Pendant des décennies, il y avait une chape de plomb sur ce qui s’était passé pendant la Shoah. ”Même enfants, nous savions sans que l’on ait eu besoin de nous le dire, que nous ne devions pas poser de questions”, se souvient Méïra. ”Pour ma part, la notion d’avant-guerre pour moi n’existe pas. Je n’ai connu que le pendant et l’après et c’est ce qui a influencé ma vie. Nous, les enfants rescapés de la guerre, avons trop longtemps été oubliés. Nous avons vécu le traumatisme de la Shoah, puis nous avons encore connu l’antisémitisme à l’école. Le message que je veux transmettre c’est que nous, les enfants de la Shoah, nous sommes des combattants, parce que toute notre vie nous avons dû nous battre pour perpétuer nos parents disparus et transporter la vie avec nous”.
Il y a 20 ans, Méïra fait son alya. C’est à l’âge de 10 ans qu’elle découvre Israël à travers le mouvement de l’Hashomer Hatzaïr.
”Aujourd’hui, c’est très important pour moi de parler depuis Jérusalem, où je me sens enfin ”décachée””, explique Méïra, ”Je sais et j’ai toujours su qu”’ils ne m’auraient pas” et encore plus aujourd’hui que l’Etat d’Israël existe. En fait maintenant que je suis ici, je sais que la Shoah ne pourra pas se reproduire”.
L’antisionisme pour Méïra est certes un nouvel antisémitisme mais elle n’est pas inquiète: ”C’est leur problème, pas le nôtre! Israël est juste la concrétisation d’un projet que le monde ne veut pas accepter parce que cela les remet en question”.
Méïra avec deux de ses petits-enfants
Se libérer du statut de victime
Méïra est une femme pleine d’énergie et de force de vie. ”Je refuse de me laisser enfermer dans le statut de victime que les Nations aiment à coller aux Juifs. Nous sommes en vie! Si nous avons réussi à rester juif, à transmettre cette identité, c’est parce que nous avons transmis la vie, non ce sentiment d’être des victimes permanentes”.
En 2010, alors qu’elle vit en Israël depuis plusieurs années, Méïra s’attèle à un ouvrage auquel elle pense depuis longtemps. ”Je raconte la première partie de ma vie jusqu’à l’âge de 17 ans en parallèle avec ce qui se passait en Israël. Je l’ai d’abord écrit pour mes petits-enfants puis je me suis aperçue que le message que j’avais à faire passer devait toucher encore plus de monde, surtout les jeunes”. Méïra aimerait être un pont entre la ”génération du pendant” et celle de l’après. Elle se heurte aujourd’hui à des difficultés pour publier son ouvrage mais elle garde espoir de pouvoir transmettre son expérience. ”Mon combat c’est la vie, pour la transmettre il ne faut pas s’enfermer dans la mort. Il faut être la continuité bien vivante de ceux qui nous ont précédés”.
Guitel Ben-Ishay
Légende photo à la une: Méïra au centre avec le noeud blanc, et au-dessus sa mère et sa soeur
Bravo Meïra l’hyperactive (ce n’est pas une insulte).
Rendez-vous au prochain groupe de paroles de Tel-Aviv auquel tu participes régulièrement.
Pour moi fils de déporté à Matthausen, le silence était aussi de règle chez nous en France après la guerre, à un tel point que jusqu’à mon arrive en Israël, j’ignorais l’utilisation sordide du Vel d’Hiv qu’en avait fait la police française.
Merci beaucoup pour votre témoignage …
Plasticienne engagée, j’ai réalisé une série de photographies brodées intitulée « Lettres mortes» sur la rafle du Vel ‘hiv et l’histoire Marie Jelen enfant déportée.
Cette série fut exposée à deux reprises en France à Chambéry en Savoie et à Uriage en Isère et j’espérerais cette oeuvre dans un lieu de mémoire.
>A découvrir: https://1011-art.blogspot.fr/p/lettre.html
> Mais aussi : https://1011-art.blogspot.fr/p/enfant-de-parents.html