L’ironie de l’Histoire aura voulu que c’est le jour où disparaissait Claude Lanzmann, l’un des plus grands cinéastes de la Shoah, que la question de la mémoire et de la vérité revienne au devant de la scène avec la publication de la déclaration commune signée il y a une dizaine de jours par les Premiers ministres israélien et polonais, Binyamin Netanyahou et Mateusz Marowiecki.
Les critiquent fusent contre le contenu du document et dénoncent de nombreuses distorsions de la vérité historique qui risquent d’avoir des conséquences dramatiques sur la perpétuation de la mémoire de la Shoah.
La fronde a commencé par une déclaration commune des historiens du musée Yad Vashem qui dénoncent des contre-vérités à la limite du révisionnisme. En effet le texte signé par les Premiers ministres des deux pays minimise par exemple la collaboration de nombreux Polonais à l’extermination des Juifs et met au contraire en évidence l’action de sauvetage de Juifs par des Polonais. Or, historiquement, c’est l’inverse qui s’est produit. Autre exemple, le texte relève l’action des du gouvernement polonais en exil ou celle des organisations de la résistance polonaise en faveur des Juifs alors qu’il est de notoriété que la plupart de ces organisations, tout en étant antinazies, étaient nationalistes et antisémites et ont souvent laissé faire voire même ont persécuté ou massacré elles-mêmes des Juifs. Enfin, les signataires trouvent inadmissible la mise en parallèle de l’antisémitisme et de l’antipolonisme. Les historiens s’étonnent aussi que l’historienne en chef de Yad Vashem, Prof. Dina Porat, membre de la commission mixte de travail, ait pu donner son ‘imprimatur’ à une telle déclaration.
Le directeur du musée, Avner Shalev a d’ailleurs convoqué Prof. Dina Porat pour “explications” lors d’une entrevue dont on dit qu’elle a été “franche et ferme”. Aucun média israélien n’a pu joindre l’historienne pour qu’elle puisse s’expliquer.
Les historiens de Yad Vashem, ainsi que le Prof. Yehouda Bauer, spécialiste de la Shoah, avertissent que ce document servira à l’avenir aux révisionnistes de la Shoah ainsi qu’aux gouvernements polonais pour exonérer totalement la Pologne en arguant qu’il s’agit d’un document signé par un Premier ministre israélien!
En Pologne également, l’historien de la Shoah Jan Grabowski, enseignant à l’Université d’Ottawa (Canada) a répété encore une fois que la part de la Pologne et de nombreux Polonais dans la persécution des Juifs est systématiquement sous-estimée dans l’historiographie polonaise.
Dans la classe politique israélienne, les réactions se font également entendre, à gauche mais aussi à droite. Binyamin Netanyahou y est accusé d’avoir accepté un accord mensonger et offensant pour les victimes de la Shoah et les survivants dans le but de régulariser les relations avec la Pologne et obtenir des avantages diplomatiques pour Israël. On cite notamment le transfert un jour de l’ambassade de Pologne à Jérusalem ou encore l’une des actions menées par le Premier ministre dans le cadre de sa politique visant à provoquer une scission au sein de l’Union européenne quant à sa politique envers Israël.
Celui qui a osé se dresser frontalement contre le Premier ministre a été le ministre de l’Education Naftali Benett. Avec des mots très durs, le ministre a indiqué qu’il refusera d’introduire cette déclaration dans les programmes scolaires israéliens qui continueront à enseigner la vérité sur le rôle de la Pologne durant la Shoah. Il a notamment dit à la radio: “Cette déclaration commune est une honte, elle est bourrée de mensonges et de distorsions, et elle constitue une insulte pour tous les Juifs polonais morts durant la Shoah. Cette déclaration relève entre autres une politique méthodique du gouvernement polonais en exil ainsi que des divers mouvements de résistance en faveurs des Juifs de Pologne alors que rien n’est plus inexact. Ces actions furent exceptionnelles mais pas centrales”. Le ministre de l’Education relève également le choix des mots, dénonçant par exemple que le sauvetage des Juifs par des Polonais est accompagné de “dans de nombreux cas” alors que les dénonciations et les massacres sont accompagnés “de rarement”.
Naftali Benett a poursuivi: “Je respecte et encourage l’amitié entre nos deux pays mais en tant que ministre de l’Education, je suis également responsable de la transmission de la mémoire de la Shoah dans nos écoles. Je ne permettrai pas que soit déformée l’Histoire de la Shoah…”.
Après s’être demandé comment le Premier ministre a pu se prêter à cela, il a appelé au gel de cette déclaration: “Cette déclaration n’est pas acceptée par les ministres et en particulier par le ministre de l’Education, et j’exige du Premier ministre qu’il la fasse modifier sans délai sous peine qu’elle soit rejetée s’il décidait de la présenter au gouvernement pour approbation”.
Yaïr Lapid, président de Yesh Atid a lui-aussi dénoncé cette déclaration “scandaleuse et offensante pour la moire des victimes”. Il a rappelé que plus de 200.000 Juifs de Pologne ont été assassinés par des Polonais durant la Shoah.
Grosse colère aussi contre le Premier ministre parmi les organisations de survivants de la Shoah. Dans un communiqué commun publié jeudi soir, elles déclarent: “Nous saluons les démarches politiques et diplomatiques pour rapprocher Israël et la Pologne. Mais aucune déclaration politique ni aucune législation, comme la Pologne a tenté de la faire, ne pourront changer la vérité historique. Ce document est truffé d’inexactitudes, notamment sur l’action des mouvements de la résistance polonaise, du gouvernement polonais en exil ou encore ou de l’importance numérique des Justes des Nations polonais (…) Même après la guerre, des Polonais préférèrent tuer des Juifs plutôt que des Allemands. Cette déclaration est une nouvelle combine politique dans le style désinvolte du Premier ministre. Malheureusement, le sang des victimes juives polonaises a été souillé par ceux qui nous dirigent”.
Dans l’entourage du Premier ministre, on indiquait jeudi soir qu’il n’avait pas l’intention de soumettre cette déclaration au vote du gouvernement. Mais quoi qu’il en soit, sur cette question sensible, Binyamin Netanyahou s’est mis dans une décision très délicate, lui qui est toujours très concerné par la mémoire de la Shoah et le maintien de la vérité historique.
Photo Hadas Parush / Flash 90