L’attentat au Merkaz Harav a mis tristement en lumière cette yeshiva déjà très célèbre. Elle fut la première yeshiva sioniste religieuse créée en Israël. C’est le Rav Avraham Itshak Hacohen Kook qui l’a fondée en 1924 et elle est appelée ”la mère des yeshivot sionistes”. Des générations entières de dirigeants spirituels et même politiques du sionisme religieux sont passées par le Merkaz Harav.
Au décès du Rav Tsvi Yehuda Kook, c’est le Rav Avraham Shapira, ancien Grand Rabbin d’Israël qui pris la tête de l’institution jusqu’à sa disparition en 2007. Le Rav Shapira avait depuis quelques années préparé sa succession demandant à son fils le Rav Yaacov de ne pas se dérober à ses responsabilités. Ainsi, à peine 6 mois avant le terrible attentat, ce dernier entre en fonction.
Le P’tit Hebdo: Que faisiez-vous, il y a 10 ans, lorsque la Yeshiva a été attaquée par un terroriste?
Rav Yaacov Shapira: Ce jour-là, je donnais cours. Puis, je me suis rendu à la bibliothèque. J’ai discuté sur un passage du Talmud avec Itshak Dadon. Lorsque nous nous sommes quittés, il est parti au beth Hamidrach et je suis rentré chez moi. Dix minutes après mon départ, j’ai reçu un coup de téléphone: on m’annonçait qu’il y avait des tirs à la Yeshiva. J’habitais en-dessous du Rav Mordehaï Eliahou, zatsal. Je suis tout de suite monté le prévenir. Il est devenu pâle et a commencé à prier. Je me suis immédiatement dirigé vers la yeshiva. On m’a dit de ne pas approcher parce qu’il y avait des coups de feu. J’ai poursuivi mon chemin. La police est arrivée. La suite est connue.
Lph: L’attentat a-t-il influencé votre façon de diriger la Yeshiva?
Rav Y.S.: Il ne peut pas en être autrement. Qui aurait cru qu’à peine six mois après le décès de mon père, zatsal, un tel drame se produirait dans la Yeshiva? Il m’arrive de penser que s’il avait encore été là, ce ne serait pas arrivé. Ses mérites nous auraient protégés.
Bien entendu, après un tel événement, nous ne pouvons plus conduire nos vies de la même façon. Notre Yeshiva est marquée, les élèves, les enseignants le vivent chaque jour, malheureusement.
Lph: “Celui qui entre en Adar, multiplie les joies”, dit-on. Comment faire de ce dicton une réalité, quand Rosh Hodesh Adar coïncide avec la commémoration d’un attentat qui a coûté la vie à 8 jeunes étudiants?
Rav Y.S.: Le mois d’Adar de cette année-là était différent, bien sûr. Ce n’est pas devenu le mois d’Av, c’est resté Adar mais différemment. Lors de Pourim, nous avons pu sentir à quel point, l’attentat avait marqué un nombre important de personnes. Ceci étant, ici, Pourim n’a jamais été le moment de se lâcher et de faire sauter les barrières. Pourim est une fête lors de laquelle, les plus belles qualités enfouies font surface grâce au vin de la mitsva. Il ne s’agit pas du tout de soûler. Pourim est une joie saine, qui libère les merveilleuses caractéristiques cachées. C’est ainsi que nous devons aborder ce mois, malgré la douleur de ces 8 vies arrachées.
Lph: Il est vrai que malgré tout, lorsque l’on marche dans les couloirs de la Yeshiva, on ressent une atmosphère d’étude et surtout de joie. Comment réussissez-vous à maintenir cette joie?
Rav Y.S.: La Torah doit être étudiée dans la joie. La crainte du Ciel n’empêche pas d’être dans la joie. Au contraire. La Torah ne nous rend pas triste, mais joyeux. Celui qui étudie la Torah ressent une plénitude. C’est pourquoi, l’étude que nous faisons ici quotidiennement ne peut que se manifester par la joie.
Lph: Le Merkaz Harav est un haut lieu du sionisme religieux. Vous avez payé un lourd tribut, le sionisme religieux dans son ensemble paie cher lorsque des attentats sont perpétrés. Deux Rav issus de ce milieu ont été assassinés récemment. Que doit-on y voir?
Rav Y.S.: Je ne crois pas qu’il faille faire une lecture sectorielle des attentats et de leurs victimes. Tout le peuple est touché. Quand cela touche des gens qui étudient la Torah, cela interpelle encore plus fort, parce que cela touche des personnes qui se souciaient du peuple.
L’attentat qui a frappé la Yeshiva, un lieu où on étudie la Torah, où on est attaché à Eretz Israël est évidemment troublant. Les goyim, malheureusement, nous montre où est la source de notre force, en allant nous chercher à cet endroit justement.
Notre idéologie est basée sur la Torah, notre force vient de la Torah, notre foi aussi. Ces atteintes sont une façon de toucher à notre force spirituelle au-delà de la douleur des familles endeuillées. Je prie pour qu’Hachem leur donne la force de se relever. Quand je vois ces deux veuves qui se soutiennent, je suis impressionné par leurs forces.
Nous devons transformer ces drames en force de vie et en force de foi. La réalité du monde c’est sa spiritualité disait le Rav Kook, ce qui fait tenir le monde ce n’est pas le matériel que nous pouvons toucher mais la spiritualité. Nos ennemis ne veulent pas juste nous atteindre physiquement mais aussi dans notre spiritualité.
Lph: Les goyim nous rappellent parfois dans le bien où est notre cœur. La déclaration de Donald Trump sur Jérusalem en est un exemple, ne croyez-vous pas?
Rav Y.S.: Je ne m’intéresse pas aux tenants et aboutissants politiques. Il est écrit que le cœur des rois et des ministres sont dans la main d’Hachem. Il y a des émissaires, comme le Président des Etats-Unis, mais au-dessus, c’est la main d’Hachem, nous devons l’avoir toujours à l’esprit.
Lph: Vous ne voulez pas parler politique. Pourtant, les politiques sont attachés au Merkaz Harav, leur présence chaque année pour la cérémonie de Yom Yeroushalayim en est une preuve.
Rav Y.S.: Yom Yeroushalayim célèbre le moment où nous avons reconquis le Kotel. Le Rav Tsvi Yehouda y avait tout de suite vu le processus voulu par Hachem. Il a immédiatement fait de cette date un événement grandiose, avant même que le Grand Rabbinat d’Israël ne décrète la récitation du Hallel ce jour-là. De tous temps sont venues beaucoup de personnalités à cet événement. Il ne s’agit pas de politique mais d’une reconnaissance de notre attachement à notre pays et du processus divin en cours.
Lph: Accueillez-vous des étudiants francophones?
Rav Y.S.: Nous avons quelques élèves francophones et un groupe de 20 personnes qui vient tous les jours pendant deux heures étudier ici en hébreu, depuis plus de 10 ans. Le Rav Kook explique que certains arrivent en Israël comme des nuages, le vent les pousse; certains arrivent comme des colombes qui savent que c’est ici qu’elles doivent faire leur nid. Les Français font partie de cette dernière catégorie. Il me semble que nous devrions faire plus d’efforts au niveau de l’éducation pour aider les olim à orienter leurs enfants. L’éducation est primordiale, surtout de nos jours, avec les intrusions de la culture occidentale.
Lph: Justement, comment gérez-vous ici ces défis de la culture occidentale?
Rav Shapira: Nos élèves n’utilisent pas leur téléphone pendant l’étude. On ne peut pas être avec une guémara dans une main et le téléphone dans l’autre. C’est nuisible. Un jeune n’a pas besoin d’avoir un téléphone non-stop. Mais il faut utiliser tous les moyens de communication pour diffuser le judaïsme, c’est notre rôle authentique.
Propos recueillis par Avraham Azoulay