Nous voici donc arrivés à l’affaire dite des explorateurs. Celle qui aura l’influence la plus grande et aussi la plus néfaste dans l’Histoire de cette génération.
On peut difficilement exagérer les graves conséquences de la faute de ces explorateurs. Leur mission était de faire un rapport circonstancié sur la Terre d’Israël, d’en noter les voies d’accès, de remarquer le genre de peuples qui y résident et la qualité de ses fruits. Mais voici que sur les douze membres de la mission, dix remettent à leur retour un rapport alarmiste, voire hystérique. On connait la suite: le peuple, démoralisé, refuse d’entrer en Terre Sainte. La colère divine est immense et la punition conséquente: vous tournerez quarante ans dans ce désert jusqu’à ce que mort s’en suive. Aucun des six-cent-mille hommes qui sortirent d’Egypte ne rentrera au Pays, sauf Calev et Yeochoua, les deux rapporteurs qui surent raison garder et qui tentèrent, mais en vain, d’encourager la Alya.
L’une des grosses difficultés du récit est que ces douze hommes furent triés sur le volet. Ce n’était pas n’importe qui. Le texte dit: כולם אנשים ראשי בני ישראל המה””. Et Rachi d’expliquer: ils étaient tous חשובים et כשרים, importants et pieux. Bref, l’élite du peuple, les Tsadikim de la génération, de respectables rabbins. Des rabbins qui oseraient décourager la Alya?! Ça existe, ça? Vous en connaissez, vous, amis lecteurs?
Quoi, est-il concevable que des gens pieux, portant kippa, voire chapeau et longue barbe, vous découragent de rejoindre le pays de vos ancêtres? Et pourquoi donc le feraient-ils?
Certains diront que les dix chefs spirituels qui dirent du mal du pays étaient anxieux de leur propre devenir. Eux qui, dans le désert sont les chefs de la génération, écoutés, respectés, reconnus, eux qui enseignent la Thora, que deviendraient-ils si le peuple prenait possession de sa Terre? Resteraient-ils les chefs de la communauté? Les activités variées auxquelles les hébreux ne manqueront pas de s’adonner une fois installés sur leur territoire, ne génèreront-elles pas d’autres chefs, d’autres dirigeants, politiques, militaires, économiques, culturels? La simple pensée qu’ils perdraient alors la place respectable qu’ils occupent dans le désert prend des allures menaçantes. Ils feront donc tout pour que le peuple n’entre pas au Pays!
Je ne partage pas cet avis.
J’ai du mal à croire qu’un rabbin, Tsadik de sa génération, découragerait la Alya, cette Mitsva essentielle, uniquement par intérêt personnel, de peur de se retrouver sans travail! Un tel rabbin ne mériterait pas son titre!
Je préfère l’explication d’Emmanuel Levinas.
Le texte précise que c’est en voyant les géants qui habitaient en Terre Sainte, que leur décision fut prise. Ne croyez pas qu’il s’agissait d’une peur physique de la guerre qui les attendait. Non, pas eux! Pas ces grands Tsadikim qui avaient vu les égyptiens engloutis par les flots. Levinas suggère que leur peur fut morale comme il sied à leur rang. En voyant ces géants dégageant une incroyable force physique, ils prirent peur car ils crurent se voir eux-mêmes dans quelques années. Ils réalisèrent que, pour construire, développer, installer une nation sur sa Terre, il va falloir développer des qualités physiques qui risquent de leur faire ressembler à ces géants, tout en muscle et en force grossière. Il va falloir entrainer une armée, une police, il va falloir irriguer les champs, travailler la terre, il va falloir créer des hôpitaux, des usines. Peut-être même devra-t-on faire trois ans de service militaire plus des périodes de réserve, qui sait? Est-ce pour cela que nous sommes sortis d’Egypte et avons reçus la Thora? Non. Mieux vaut rester sagement dans le désert du Sinaï ou dans celui de Nations et continuer à étudier une Thora, qui à force d’être livresque, se transformera en exercice intellectuel détaché des contingences inhérentes à la vie d’un peuple libre et souverain sur sa Terre!
Ils ne savaient pas ou ne voulaient pas savoir que la Thora n’a pas été donnée pour être étudiée dans le désert mais bien pour être appliquée dans toutes ses dimensions par la Nation toute entière. Ils n’ont pas compris que le véritable défi n’est pas d’éviter le problème du contact avec la Terre mais de s’y confronter en gardant nos valeurs morales, sans pour autant devenir des géants mus par leur seule force physique. Calev le leur avait pourtant crié: “Montons et prenons-en possession car nous en sommes capables”! Encore eût-il fallu l’écouter.
Arrêtez-moi si je dis des bêtises…
Rav Elie Kling
L’explication “intellectuelle” d’Emmanuel Lévinas ? Peu pertinente.
Plus convaincant est le commentaire de Rachi de Troyes (Midrash Raba) :
שְׁלַח-לְךָ אֲנָשִׁים, (במדבר רבה) לָמָּה נִסְמְכָה פָּרָשַׁת מְרַגְּלִים לְפָרָשַׁת מִרְיָם? לְפִי
שֶׁלָּקְתָה עַל עִסְקֵי דִּבָּה, שֶׁדִּבְּרָה בְּאָחִיהָ, וּרְשָׁעִים הַלָּלוּ רָאוּ וְלֹא לָקְחוּ מוּסָר.
Les dix chefs de tribus ont été les précuseurs de la faute – version juive du BDS, mais beaucoup plus “efficace” – réitérée par la majorité des “rabbins” des USA, d’Europe et d’Afrique du Nord avant et après la Seconde Guerre mondiale et jusqu’à nos jours. Les conséquences de cette erreur tragique sont malheureusement connues, outre l’Holocauste : l’assimilation et la disparition volontaire de dizaines de millions de juifs en 70 ans.