La mission des grands hommes est parsemée d’épreuves, celle de Moïse le plus grand des prophètes subira le même sort. Les difficultés qu’il rencontrera dans la direction des Hébreux en plein désert, ont failli remettre en cause sa vocation jusqu’à souhaiter sa propre disparition. On peut être investi d’une très grande sainteté comme ce fut le cas d’Israël au pied du mont Sinaï et être pris brusquement par la tentation du matérialisme.
Notre paracha nous signale allusivement qu’Israël voulait fuir le mont Horev comme un enfant qui quitte précipitamment et avec soulagement l’école dès le retentissement de la sonnerie. La spiritualité n’est jamais un fait accompli pour toujours et irréversible. C’est avec grand fracas et en des termes très violents que les Hébreux expriment leurs requêtes. Ayant oublié leur condition d’esclave, ils affichent sans détour la nostalgie d’avoir quitté la douce Egypte et les appétits matériels qu’ils feignent d’avoir connus. Ils se voient encore autour d’une grande marmite de viande, parfumée à l’ail et à l’oignon, croquant leurs concombres et leurs pastèques. Leur revendication est claire, est purement charnelle ; il s’agit de la bonne chaire et nos commentateurs traditionnels reconnaissent que le désir exprimé va plus loin et touche au fait que la chaire est faible. Moïse sent ses forces défaillir, et parle de lui-même et de D. au féminin. La boulimie carnivore des Hébreux est inconcevable compte-tenu de leur grandeur mais la main de D. n’est pas impuissante. C’est devant Moïse et les soixante-dix anciens d’Israël qu’il fera souffler un vent charriant des nuées de cailles. La grande bouffe commence. Ce n’est ni trois jours ni dix jours mais un mois entier qu’elle durera jusqu’à ce que la bouillie carnée sorte du nez des festoyeurs voraces. C’est avec leurs fourchettes qu’ils ont creusé leurs tombes que notre paracha appelle « les sépultures du désir ».
Et pourtant la nourriture des hébreux était assurée sans la sueur de leur front et Moïse avait remué ciel et terre pour leur dispenser un aliment incomparable d’origine céleste, ce pain immatériel qu’a connu Moïse durant quarante jours, sorte d’énergie lumineuse qui est la nutrition des anges. En effet la manne, produit de consommation très éthéré est totalement assimilé par le corps sans laisser de déchets, pareil à la graine de coriandre qui selon les médecins est bénéfique en stomachie, aussi limpide que le cristal, onctueuse et douce comme le miel, elle tombait chaque matin recouverte par deux couches de rosée. Apprêtée sous toutes les formes elle prenait le goût qu’on souhaitait mentalement. Sa distribution était assurée par les anges du quatrième ciel appelé Che’hakim qui la broyaient. De nos jours, les scientifiques eux-mêmes le reconnaissent puisque quelque part dans le cosmos il existe un champ manne – étique.
Avoir son gagne-pain gratuitement sans être au four et au moulin et sans être dans le pétrin permettait aux enfants d’Israël de s’adonner quotidiennement et en toute confiance à l’étude de la parole divine. La Torah n’a pas été donnée aux mégalomanes ou aux kleptomanes mais aux mélomanes qui chantent la gloire de D.
Chaque matin levant les yeux, ils voient cette pluie de légers flocons tomber des nuées, de tout sens, venant de la grande surface céleste appelée firme à manne, et ils s’écrient : « c’est des manne-ciel ! » Elle est saupoudrée de voie lactée, cuite en un éclair, le Pâtissier du ciel nous propose des religieuses. Il vaut mieux cela que voir l’Aman tomber du ciel et crier : « Est-ce Terre ? »
Rav Yaakov Guedj