Par Claire Dana-Picard
A quelques jours de Roch Hachana, le Grand Rabbin de France Haïm Korsia, élu en juin 2014, nous a accordé cette interview exclusive.
LPH : M. le Grand Rabbin, vous exercez vos fonctions depuis plus de 2 ans. Quel bilan pourriez-vous établir depuis le début de votre mandat ? Dans quels domaines pensez-vous avoir apporté votre touche personnelle ?
Grand Rabbin Korsia : J’ai essayé de redonner confiance à l’ensemble du système, à l’ensemble des communautés et des fidèles, et de ré-ancrer fermement la communauté juive dans l’espérance française alors qu’elle avait été frappée par un grand sentiment d’indifférence de l’ensemble de la société. Qu’on le veuille ou non, c’est une réalité : quand des enfants et un enseignant juifs ont été assassinés à Toulouse, cela a suscité de l’émotion, certes, mais pas de mobilisation comme on aurait pu s’y attendre, comme celle qu’on a pu connaître après l’attaque contre l’Hyper Cacher. A un moment donné, nous étions comme déconnectés. Mon action a donc consisté à redonner de la confiance, à montrer que les valeurs du judaïsme étaient des valeurs dont nous avions besoin plus que jamais pour nous, communauté juive, et pour l’ensemble de la société.
LPH : En France, le débat sur la laïcité occupe une place importante. On parle bien entendu beaucoup de l’islam sous des aspects divers avec des prises de position qui font grincer parfois des dents. Vous sentez-vous obligé, en tant que premier représentant de la communauté juive, de vous positionner, peut-être un peu malgré vous ?
GRK : Je ne me suis jamais positionné sur quoi que ce soit malgré moi. D’abord je ne cède pas à la pression médiatique. En revanche, je donne un point de vue. Quand, par exemple, j’ai estimé que, d’une manière scandaleuse, l’Unesco prenait une décision sur les droits d’Israël, et du peuple juif plus globalement, sur Jérusalem, sur cette ville vers laquelle toutes nos prières dans le monde entier sont dirigées, je me suis exprimé et je crois avoir fait bouger les choses. Je peux dire que sur cette affaire, beaucoup de monde a agi. Quand j’ai vu que la France s’enfermait dans un débat stérile sur la taille du burkini et qu’on osait le comparer à la Kippa, je me suis emporté et j’ai publié un article dans le Figaro qui a été largement repris. Et ensuite, chacune et chacun construit sa pensée en intégrant ou pas ce que je propose, notamment les présidents de communauté et les rabbins localement. Il faut démultiplier notre action dans le cadre du projet consistorial.
LPH : Comme on peut le constater dans les médias, vous attachez une grande importance au dialogue interconfessionnel. Qu’en est-il pour vous du dialogue entre les différents courants du judaïsme ?
GRK : Il fonctionne plutôt bien. Le dialogue, ce n’est pas forcément faire des photos pour montrer qu’on est ensemble. Le dialogue consiste à échanger, participer, se comprendre, se connaître et ne pas avoir de paroles blessantes. Sur le plan consistorial, je peux dire que la maison est ouverte à tous, ce dialogue est absolu et il n’a jamais exclu personne. C’est la force du respect de la Halakha qui peut permettre à chacun de prendre sa place comme il l’entend.
LPH : Comme vous l’avez dit, vous avez réagi vivement à la décision de l’Unesco, montrant clairement votre attachement à Jérusalem. Comment définiriez-vous votre lien avec l’Etat d’Israël ? Quel regard portez-vous sur la société israélienne et ses différences ?
GRK : En ce qui concerne ma réaction à la décision de l’Unesco, j’avais titré mon article en reprenant la phrase du prophète Isaïe : ‘Pour Jérusalem, je ne me tairai point’. Quant à la société israélienne, je considère que c’est une société moderne et démocratique. C’est une grande société ouverte, avec ses points forts et ses points faibles. Elle a capacité à produire de la valeur ajoutée, une dynamique, un mouvement économique. C’est une société bien plus jeune que la société française et en même temps, elle puise ses racines dans 3 500 ans d’histoire juive. Dans cet ensemble local, c’est quelque chose d’assez juste et de fort, qu’on aime par nature, parce que je crois que chaque juif dans le monde a un attachement subjectif pour Israël. En même temps, c’est une société que je ne me permets jamais de juger. Vous ne m’entendrez jamais dire quoi que ce soit sur la politique en Israël. Seuls les Israéliens peuvent s’exprimer là-dessus. Je suis pour ma part dans un lien d’aide évidemment, d’accompagnement, de défense, avec une société dont aucun juif au monde n’a à rougir.
LPH : On parle beaucoup d’unité au sein du peuple juif : n’est-ce pas un doux rêve, voire même une utopie ? Et sinon, comment la réaliser concrètement ?
GRK : Il faut du rêve, il faut de l’unité. Si vous dites qu’il faut de l’unité, cela signifie qu’elle n’existe pas ou plus exactement qu’elle est toujours à construire. De la même façon que lorsqu’on parle de fraternité, cela veut dire qu’il nous faut constamment la construire. Je pense qu’œuvrer et prier pour l’unité du peuple juif est un enjeu majeur. La société israélienne est hyper-fragmentée et il faut lutter pour cela. A mon avis, les Juifs français qui s’installent en Israël après avoir acquis en France une habitude de l’unité communautaire seraient peut-être en mesure d’aider les Israéliens à comprendre que ce n’est pas parce qu’on a une kippa de couleur différente, ou pas de kippa du tout, qu’on vit dans des mondes ou des planètes différentes. Nous sommes dans une espérance commune.
LPH : Nous nous approchons à grands pas de Roch Hachana qui est entre autres l’époque de la Techouva : comment peut-on traduire ce mot ? Qu’exprime-t-il exactement ?
GRK : Etymologiquement parlant, le mot Techouva signifie : ‘réponse’. Cela veut dire : enfin répondre à l’appel de D. : ‘Hachiveinou Hachem Eleih’a Venachouva’. ‘Fais nous revenir à toi’, c’est-à-dire que nous devons nous aussi entreprendre une partie du chemin. C’est le temps de la confiance retrouvée, mais c’est aussi le temps du jugement. On dit à D. : ‘Notre comportement n’était certainement pas parfait, mais nous revenons vers toi ensemble avec l’intention d’en faire davantage encore à Kippour’. On demande donc à D. d’apprécier notre capacité à nous unir et de nous juger en conséquence.
LPH : Avant de conclure, M. le grand rabbin, avez-vous un vœu spécifique à formuler pour la nouvelle année ?
GRK : Je souhaite qu’on ait enfin un temps apaisé, un temps où on ne se méfiera plus les uns des autres et où l’on se fera confiance. C’est grâce à cette confiance entre nous que l’Eternel pourra nous accorder sa confiance.
LPH : Avez-vous un message à adresser à la communauté francophone d’Israël ?
GRK : Les Français d’Israël représentent une part lumineuse de la France par leur langue et leur culture. Ils ont la possibilité de donner une belle image de la France en Israël et peut-être aussi d’aider les Israéliens à construire cette unité que nous, dans nos communautés juives en France, nous vivons parfaitement. Je leur souhaite d’être de formidables ambassadeurs de la France en Israël, d’être un pont entre la culture française et la culture israélienne. J’espère qu’avec la place reprise par l’expression française, elle retrouvera sa position comme langue connue et reconnue en Israël, notamment à Yad Vashem où elle a disparu pour être remplacée par d’autres langues. De la même façon, j’espère qu’Israël pourra intégrer la Francophonie et que le français reprendra la place qu’il occupait au moment de la création de l’Etat d’Israël dans la société israélienne.
Chana Tova !
Cette interview a été réalisée peu avant le décès du grand rabbin Sitruk. Confrontés aux contraintes du bouclage, nous n’avons pu recueillir les réactions du grand rabbin Korsia sur la disparition de son prédécesseur. Il avait toutefois exprimé sur sa page Facebook l’affection et l’admiration qu’il portait au grand rabbin Joseph Haim Sitruk.