Si la guerre des Six Jours a permis la libération de la Judée, de la Samarie et surtout la réunification de Jérusalem comme capitale de l’Etat d’Israël, nombre de questions pratiques politiques et religieuses voient le jour et interpellent les autorités rabbiniques.
Pour exemple, la question concernant la pertinence de prononcer, oui ou non, la prière de « consolation » (Nah’em), telle qu’elle apparait dans le texte, au cours de la liturgie de l’après-midi du 9 Av (commémoration de la destruction des 2 Temples de Jérusalem en -586 et +70).
Conscients d’avoir retrouvé notre indépendance et notre souveraineté, pour quelle raison devrions nous perpétuer la récitation de cette supplique, apparemment inappropriée dans son libellé d’alors, aujourd’hui?
Le 9ème jour de Av (Tishaa Be’av) clôture, par un jeûne, une période de trois semaines de deuil qui débute, également, par celui du 17 Tamouz. Quantité de drames demeurent attachés à ce jour, entre autres: la perte de l’autorité politique, la destruction des Temples, les débuts de l’exil.
Aucun doute que la nouvelle autonomie politique en 1948 et, plus encore, l’unification de Jérusalem en 1967 entrainèrent plusieurs rabbins à s’interroger et entamer une sérieuse réflexion à propos du comment vivre cette commémoration, décidée il y a 1800 ans, au temps présent.
Etait-elle, au vu et au su de notre soudaine mais non moins évidente réalité, encore et toujours probante pour notre génération, c’est-à-dire fidèlement adaptée dans sa totalité?
Le propos du prophète Zacharie est intéressant à ce sujet:
« Ainsi parle l’Eternel-Cebaot: Le jeûne du quatrième mois et le jeûne du cinquième, le jeûne du septième et le jeûne du dixième mois seront changés pour la maison de Juda en joie et en allégresse et en fêtes solennelles. Mais chérissez la vérité et la paix! » (8:19).
Par conséquent, les Sages prédirent que lors d’une paix réelle, instaurée par et pour Israël, les jours de jeûne secondaires comme le 17 Tamouz, le 10 Tevet et le jeûne de Guedalia deviendraient des journées de joie (traité de Rosh Hashanah 18b).
D’autres tentèrent de définir, du moins selon eux, les exigences nécessaires à un tel changement: « l’abolition de l’oppression des Gentils (les peuples) sur les communautés juives » (selon Rashi).
Certains assurèrent que ces journées de deuil et du souvenir deviendraient des jours heureux, uniquement, si le Temple retrouvait sa place antérieure (le Ritba).
Le Talmud poursuit et affirme que s’il n’y a ni vraie paix ni catastrophe, ces jeûnes deviendraient optionnels.
Cependant, le jour de ‘Tishaa be Av’ restera obligatoire en raison de la gravité des drames qui se sont joués autour de cette date-là menant l’Histoire vers de lourdes conséquences.
« Console, Eternel notre Dieu, les endeuillés de Sion, et les endeuillés de Jérusalem, et la ville détruite, pillée et ruinée; sans ses enfants elle demeure, et sa tête est enveloppée, comme une femme stérile qui n’a pas enfanté. Les légions l’ont ruinée et en ont hérité; ils ont passé ton peuple d’Israël par l’épée, et ceux qui chérissent le Très-Haut furent tués par le méchant. C’est pourquoi Sion verse des larmes amères, et Jérusalem fait entendre sa voix. Mon cœur, mon cœur, pleure sur leurs cadavres, pleure sur leurs tués, car toi, Eternel, l’a détruite par le feu, et par le feu Tu la reconstruiras, ainsi qu’il est écrit : “Et Je serai pour elle, parole de l’Eternel, une muraille de feu l’entourant, et pour le culte, Je serai en son enceinte”. Béni es-Tu, Eternel, qui consoles Sion et construis Jérusalem. » (Talmud yerushalmi 4,3)
Le texte et l’époque de sa récitation ont évolué au cours des siècles, y compris la substitution de son vocable d’ouverture, “Rah’em” (la compassion) par le verbe ‘Nah’em (la consolation). L’énoncé décrit Jérusalem comme une «ville détruite, pillée et ruinée; sans ses enfants elle demeure», « Les légions l’ont ruinée et en ont hérité ».
En août 1967, le grand rabbin de l’époque, Rav Shlomo Goren זצ”ל, modifia ce texte dans le livre de prière de Tsahal afin d’indiquer la nouvelle réalité hébraïque. Se basant sur des versions textuelles historiques, il enleva ces représentations d’une Jérusalem «méprisée et désolée» alors qu’elle «était assise en deuil comme une femme stérile sans enfant».
Les mouvements non-orthodoxes ont adopté les changements plus complets du Prof. Ephraïm Urbach. Né dans une famille hassidique à Włocławek alors dans l’empire russe, puis dans la deuxième République de Pologne, il poursuit des études universitaires et obtient le titre de docteur, il enseigne ensuite dans les universités de Breslau et de Rome. Parallèlement, il est ordonné Rabbin par le séminaire rabbinique de Breslau.
Il renouvelle le texte vers un plaidoyer de compassion (rachem) pour une Jérusalem dorénavant « reconstruite sur ses ruines, restaurée de son ravage, et réinstallée sur son saccage. » Il y inclut également le souvenir de la Shoa et des guerres d’Israël, rejoignant ainsi la version écrite par Rabbi Abraham Rosenfeld, זצ”ל qui incluait en outre une apologie de la vengeance et du rassemblement des Juifs à Sion.
Le grand rabbin de Netanya, Rav David Shloushזצ”ל, changea la majeure partie du texte pour se référer, exclusivement, au manque de culte religieux sur le Mont du Temple (Chemdah Genuzah 21).
Toutefois, pour diverses raisons, la plupart des rabbins orthodoxes n’acceptèrent guère ces transformations. Malgré leur refus de condamner ceux qui formulaient ces textes différentiels, les rabbins Tzvi Y. Kook et Shaul Israëli זצ”ל estimèrent que de tels changements ne pouvaient être actuels étant donné l’état du Mont du Temple. Des sentiments similaires furent exprimés par les grands rabbins Isser Unterman et Ovadia Yossef זצ”ל (Yechaveh Da’at 1:43). Ils avaient noté la présence continue d’un culte étranger sur le Mont Moriah et l’égarement spirituel général en Israël. Le Rav Yossef Dov Soloveitchik זצ”ל affirma son opposition totale à toutes corrections rituelles et particulièrement celles concernant les prières.
Quant aux partisans du changement, ils rétorquent que ce genre de prière est constitué d’un texte toujours malléable au fil du temps et des évènements vécus, surtout si la formulation cardinale de l’énoncé de conclusion reste saine et sauve. Ils soutiennent, bec et ongles, que le fait de ne pas changer le texte rend nos prières mensongères, ce qui relève d’une faute évidente et spécifiée par le Bait Hadash et le Maguen Avraham sur Or Ah’aim 623,1.
Le grand rabbin séfarade de Tel Aviv, Haïm David Halevi זצ”ל (Assé Leh’a Rav 2,36), suggéra de modifier la conjugaison du texte au passé («était sans enfants….l’avaient ruiné, en avaient hérité…»). Bien que soutenu par le rabbin Shear Yshuv Hacohen, ce changement ne reçut pas l’adhésion populaire et céda au destin, pour une ère future, la décision ultime.
Rony Akrich