C’est sur le Kikar Hamusica, place pensée et conçue par le Francophone Laurent Levy autour de la musique qui rassemble, que nous avons interrogé Miri Regev.
Ministre la culture depuis deux ans, elle ne laisse pas indifférent. Chantre de la culture ouverte à une variété d’origines, elle dérange certains, elle dit et fait enfin ce que d’autres ont rêvé pendant des années.
Entretien à mi-mandat avec celle qui revendique fièrement ses origines séfarades et son appartenance à la périphérie et à la droite du Likoud, dans sa vie personnelle et surtout professionnelle.
Le P’tit Hebdo: Quel bilan tirez-vous de ces deux premières années en tant que ministre de la culture?
Miri Regev: Je pense avoir réussi à modifier l’approche à la culture. On comprend aujourd’hui que la culture est une identité, elle n’appartient pas qu’à une certaine élite. Jusqu’à aujourd’hui nous nous étions habitués à ce que la culture soit ce que certaines personnes qui vivent à Tel Aviv décidaient. Il n’y avait aucune diversité et aucun partage. Cela signifiait que la culture était concentrée à Tel Aviv et de ce fait, les habitants de la périphérie n’y avaient pas accès et ne s’y retrouvaient pas.
Lph: Qu’avez-vous fait concrètement pour ces personnes?
M.R.: Je me suis souciée du fait qu’ils aient les structures nécessaires pour accueillir la culture. Ainsi, aujourd’hui il y a un théâtre à Dimona, un autre à Kiryat Shmona, à Eilat ou encore un théâtre marocain à Migdal Haemek. Les ensembles musicaux, les troupes de danse se sont développés dans ces villes. Des festivals sont organisés dans les villes de la périphérie, y compris dans des villes orthodoxes comme Beitar Illit.
Par ailleurs j’ai permis à l’art oriental, notamment la musique, de récupérer ses lettres de noblesse. Cette branche artistique était totalement méprisée; il n’est pas normal si un opéra reçoit des subventions qu’un concert de musique andalouse n’en reçoive pas. Nous devons donner sa place à la joie qui règne dans la culture orientale.
L’empreinte que je veux laisser c’est celle qui combat le narratif installé par Ben Gourion et qui consiste à dire que pour être israélien il faut renoncer à son identité. Je me souviens, qu’enfants, nous avions honte d’écouter des piyoutim: nous voulions être Israéliens! Chacun doit pouvoir mettre en avant sa culture, son originalité sur une même scène.
Lph: Vous prônez l’unité, l’expression de tous. Mais vous êtes huée par toute une partie du monde artistique, quelle est votre réaction face à ce rejet ?
M.R.: Il y a une barrière et je suis en train de l’ébranler. Ce n’est pas agréable pour tout le monde. Bien entendu, c’est difficile de prendre la parole devant une foule avec des huées. A chaque fois, je prie D’ieu pour qu’il m’aide à bien remplir ma mission.
Qui me hue? C’est précisément cette élite qui avait pris l’habitude de tout régenter et d’obtenir la plus grande part de gâteau. Ces gens regardent de haut toute culture qui ne rentre pas dans leur définition: la musique orientale, hassidique, arabe,… Pour eux, il s’agit d’une sous-catégorie de la culture. Et nous venons leur dire qu’ils se trompent, que cette diversité artistique existe et qu’elle s’appelle aussi “culture” dans le sens strict du terme.
Lph: Les huées que récoltent Naftali Bennett aujourd’hui par rapport au code éthique pour les universités sont-elles des mêmes personnes?
M.R.: Oui, exactement les mêmes. Je suis contente de voir que Naftali Bennett m’ait rejoint dans ce combat. Il a pris conscience qu’il est de notre devoir de sortir contre ces positions de gauchistes qui décident de ce que sont notre culture ou notre monde universitaire.
En tant que ministre de la culture, pourquoi devrais-je donner de l’argent à des spectacles qui parlent d”’occupation”, qui glorifient des terroristes qui ont assassiné nos soldats, qui sont orientés contre l’Etat d’Israël?
Lph: Votre intervention ne se limite pas aux positionnements politiques et idéologiques. Vous avez également exprimé votre réprobation face à un spectacle de nus. Est-ce votre rôle?
M.R.: Oui je le pense. Nous vivons dans un Etat juif et nous portons des valeurs. Celui qui veut aller voir un tel spectacle est libre de le faire, mais l’Etat n’a pas à le subventionner avec l’argent des contribuables qui sont pour beaucoup traditionnalistes, haredim, ou autres et qui rejettent ce genre de représentations au nom de valeurs juives.
Lph: Votre robe au festival de Cannes a fait sensation. Qui l’a choisie?
M.R.: Moi-même. Il y a quatre mois, je me suis interrogée sur ce que j’allais porter pour ce festival international. Je savais que tout le monde parlerait de ma tenue, dans tous les cas. Je me suis dit qu’il s’agissait d’une opportunité pour moi de montrer mon attachement à Jérusalem, en tant que ministre pendant le jubilé de la réunification de Jérusalem. Je voulais passer un message.
Le couturier m’a regardée bizarrement quand je lui ai fait part de mon idée! Nous avons travaillé ensemble sur ce modèle unique. J’ai fait apparaitre la mosquée sur ma robe, parce qu’elle garde la pierre fondatrice du Beth Hamikdach.
Quand je suis sortie de l’hôtel avec la robe, ‘Hen, mon assistante a commencé à pleurer d’émotion! Je sentais les regards dans le hall de l’hôtel. J’ai prié pour que tout se passe bien. Arrivée sur les marches du festival, tout le monde m’interpellait ”Madame, Madame, quelle merveilleuse idée! Quelle robe magnifique!” Ce n’est pas moi que les gens admiraient, c’est Jérusalem! Le monde entier aime Jérusalem, chrétiens, juifs, musulmans.
La communauté juive de France a adoré. Un musée de Berlin m’a contactée pour exposer la robe. Nous le ferons avec le couturier, puis nous la mettrons en vente. Les bénéfices de la vente iront pour des œuvres pour Jérusalem.
Lph: De quoi êtes-vous le plus fière dans l’action que vous menez?
M.R.: Je suis heureuse d’avoir rendu sa fierté à la culture orientale, que ce soit la musique ou la littérature.
J’ai déclaré, sans honte, que celui qui s’afficherait contre l’Etat d’Israël ne recevrait pas d’argent public.
J’ai fait monter sur scène le monde juif. Nous ne devons pas nous cacher parce que nous sommes juifs. Nous avons nos valeurs, elles sont compatibles avec une culture florissante, nous ne devons pas y renoncer.
Lph: Avez-vous le sentiment d’avoir le peuple derrière vous?
M.R.: Oui, je le sens. Il y a un petit groupe radical qui veut tout gérer dans le domaine de la culture. Je suis en train de leur tirer la couverture, ils ne décideront pas! Arrivée à un certain stade, je n’entends plus les huées parce que je crois dans ce que je défends. Je sais qu’ils veulent faire taire ceux qu’ils appellent des ”animaux”, des ”embrasseurs de mezouzot”, toute une partie de la population qu’ils méprisent et que je suis fière de représenter. Donc je n’entends plus leurs sifflets, j’entends dans mon cœur la voix de ce public authentique qui est derrière moi.
Lph: Quel lien entretenez-vous avec les Francophones?
M.R.: Nous sommes semblables: nous sommes chaleureux, traditionnalistes. Nous nous retrouvons sur des valeurs communes, je suis croyante. Je suis allée souvent à Paris, j’aime la communauté juive de France.
A l’armée j’ai rencontré beaucoup d’originaires de France qui servaient. J’ai vu leur amour de la terre, de l’Etat, leur volonté d’avancer, de développer, de donner.
Sur ce Kikar Hamusica de Laurent Levy, je ressens une grande fierté. Laurent Levy parle d’unité, il l’exprime grâce aux instruments de musique du monde entier. La musique touche l’âme. Cela rejoint ma philosophie: l’amour de Jérusalem, développer la ville, le pays, réunir tous les horizons.
Notre pays est fort sur les plans économique, militaire, humain. Pour conserver cette force nous devons nous connaitre les uns les autres. La culture est un vecteur idéal si nous nous éloignons des boycotts de ceux qui sont différents: Yaffo doit aller chez les religieux et les religieux doivent aller à Yaffo. Comme le prône Laurent Levy sur cette place, nous devons viser ce qui nous unit.
Propos recueillis par Avraham Azoulay
Photo à la une by Hadas Parush/Flash90
Photo dans le texte: Binyamin Touitou