Pas très claire cette histoire de corbeau et de colombe. Pourquoi Noah’ envoie-t-il le corbeau une seule fois alors qu’après l’échec de la colombe, celle-ci a droit à une deuxième chance ? S’il n’avait pas confiance dans le corbeau, pourquoi l’avoir envoyé ? Et puis quelle idée d’envoyer un prédateur charognard et “impur”, connu pour sa laideur, sa démarche disgracieuse, sa voix nasillarde et qui, pour couronner le tout, a la réputation d’être cruel envers ses propres petits ! Surtout lorsqu’on a sous la main une colombe qui présente toutes les sympathiques caractéristiques opposées ?
D’ailleurs, force est de constater que notre corbeau ne fait pas preuve de beaucoup d’enthousiasme pour accomplir la mission que Noah’ lui confie. Au lieu de partir en expédition (comme le fera ensuite la colombe) pour vérifier si le moment est venu ou non de quitter l’Arche, il reste perché au-dessus du grand bateau ! Rachi commente ainsi l’expression : “il allait et venait” : “il tournait autour de l’Arche sans accomplir sa mission” (8,7). Le commentateur cite alors un bien curieux midrash qui nous renvoie à une autre histoire de corbeaux. Bien des siècles plus tard, le prophète Elie, obligé de se cacher pour éviter de tomber aux mains du roi Ah’av est nourri par des corbeaux qui lui apportent du pain et de la viande (Rois I, 17) ! D’où cette constatation de Rachi : “le corbeau était prêt, mais pour une autre mission, au moment de la grande sècheresse, à l’époque du prophète Elie”. Quel rapport peut-il bien exister entre le corbeau de Noah’ qui fait de toute évidence sa mauvaise tête et celui d’Elie qui lui, au contraire, prouve sa bonne volonté en allant nourrir le prophète ?
Techniquement, c’est l’expression : “jusqu’à la terre sèche” (8,7) qui permet au midrash de faire ce surprenant rapprochement. On se souvient en effet qu’Ah’av, par provocation, s’était félicité devant Elie que, malgré l’idolâtrie que la Cour avait imposée au Pays, la pluie était abondante, en contradiction flagrante avec les avertissements de la Thora! Elie avait alors décrété qu’à partir de ce jour, “il n’y aurait plus ni pluie ni rosée”, ce qui provoqua une grande sécheresse. Il dut alors se cacher, poursuivi qu’il était par les soldats du roi…
Plus profondément, il semble que Noah, Elie et le corbeau ont en commun un profond désespoir, l’idée qu’il n’y a plus grand-chose à attendre des hommes ! Elie ne semble pas s’émouvoir outre mesure des dégâts énormes que provoque la sécheresse qu’il a appelée de ses vœux pour punir Israël de sa conduite ! C’est Dieu qui doit l’obliger après 3 longues et difficiles années d’aller voir Ah’av pour lui annoncer le retour de la pluie. En attendant, seuls les corbeaux seront ses alliés, comme s’ils partageaient son scepticisme à l’égard du peuple. Quant à Noah’, le déluge l’a semble-t-il transformé. Autant il parait au début être insensible à la catastrophe qui se prépare, se contentant de construire silencieusement l’Arche comme il en a reçu l’ordre, autant, lorsque les pluies qui ont détruit le monde cessent enfin, il semble traumatisé par l’ampleur de l’évènement. Il hésite à sortir de l’Arche : doit-on recréer une humanité après une telle catastrophe ? C’est pour cela qu’il choisit d’abord d’envoyer le corbeau. Qu’il parte en reconnaissance et qu’il nous dise s’il existe ou non une chance de tout reprendre à zéro. Si même cet oiseau de mauvaise augure pense que tout est à nouveau possible, ce sera le signe qu’il est temps de sortir. Mais, loin de se montrer coopératif, le corbeau fait de l’obstruction. Il ne s’éloigne même pas de l’Arche, à l’instar de ces personnages de Camus qui, dans la Peste, préféraient rester dans la ville touchée par l’épidémie plutôt que de faire courageusement le choix d’en sortir et de prendre leur destin en main ! Noah’, comprenant qu’il ne tirera rien de plus du corbeau, se résigne à envoyer la colombe. Celle-ci, contrairement au passereau noir, est déterminée à quitter l’Arche dès que possible. Noah’ comprend que si elle est revenue la première fois, ce n’est pas faute d’avoir exploré mais bien parce que la terre n’est pas encore suffisamment asséchée. A la seconde tentative, elle revient avec un rameau d’olivier au bec. Ce n’est certes pas le plat préféré des colombes ! Ce qui fait dire au Talmud (Erouvin 18b) qu’elle voulait ainsi faire passer le message suivant : mieux vaut manger de ce que Dieu m’envoie même si c’est amer, plutôt que profiter du miel et des douceurs obtenues des mains d’autres hommes, à l’intérieur de l’Arche. En d’autres termes, elle cherche à convaincre un Noah’ encore hésitant, qu’il faudra bien un jour reconstruire le monde dévasté en quittant l’Arche malgré les difficultés qui l’attendent à l’extérieur. A la troisième tentative, elle ne reviendra pas. Non pas qu’elle ait abandonné son conjoint dans l’Arche en le condamnant ainsi à une vie solitaire. Elle est connue pour sa fidélité: cela ne lui ressemblerait pas. Si elle ne revient pas, c’est pour l’inciter, lui, à venir la rejoindre à l’extérieur, avec tous les autres résidents de l’Arche, à commencer par les humains, Noah’ et sa famille. La colombe devient ainsi et pour toujours, symbole de liberté, de courage et de détermination.
C’est l’occasion pour moi d’accueillir d’autres “colombes” toutes aussi déterminées et courageuses et qui constituent la 23ème promotion (!) de Hemdat Hadarom!
Bienvenue à Mercedes, Sabrina, Léa A., Anaëlle A., Noémi, Deborah, Victoria, Ayelète, Esther, Bitia, Léa C., Diana, Shana, Shelly, Chany, Liora, Orlane, Hannah, Emmanuelle, Rina Perle, Amira, Magali, Chloé, Odélia, Eden, Alexandra, Aurélie, Avigael, Chaya M., Camille, Carla, Shirel, Léa P., Rebecca P., Haya R., Perla, Dorine, Anaëlle S., Rebecca T., Léna et Orly
Excellente année à toutes !
P.S J’en profite pour vous inviter à la soirée de soutien à hemdat hadarom dédiée à la mémoire de mon père, le grand rabbin Kling, mardi 24 octobre à 20:00 au beth haknesset Adath Bney Israel, rehov Abravanel à Raanana. Le livre “sous le talith du rabbin ” est vendu au profit de hemdat hadarom.