Le lourd tribut payé par les habitants du sud d’Israël vivant sous la menace des missiles – étude de l’Université de Tel-Aviv 3 ans après la guerre de Gaza
A l’occasion du troisième anniversaire de l’Opération Bordure protectrice en été 2014, au cours de laquelle plus de 4 500 roquettes et mortiers ont été tirés sur Israël, une équipe de chercheurs sous la direction du Prof. Zahava Solomon, directrice du Centre pour l’étude des traumatismes de masse de l’Université de Tel-Aviv a examiné l’état physique et psychologique des habitants de Sderot et des agglomérations israéliennes limitrophes de la bande de Gaza, exposés depuis de nombreuses années à des évènements sécuritaires. Leur recommandation: développer les programmes de résilience sur une longue durée.
D’après le Prof. Solomon, l’étude, menée en collaboration avec l’Institut national d’assurance sociale, le ministère de la Santé, le Ministère des Affaires sociales et l’Association israélienne pour la lutte contre les traumatismes, avait avant tout pour but de vérifier l’état psychologique et fonctionnel des personnes vivant à l’ombre des missiles depuis plus de 17 ans, et l’efficacité des traitements psychologiques que les adultes et les enfants reçoivent dans les centres de résilience.
“La vie à l’ombre des missiles”
“La vie à l’ombre des missiles à un prix très élevé”, explique-t-elle. “Il est donc nécessaire d’y répondre par des traitements de longue durée comme ceux qui sont donnés dans les centres de résilience, car souvent les symptômes se déclarent longtemps après coup. Je recommande à toutes les personnes qui vivent dans la région et en ressentent le besoin de ne pas hésiter à se rendre dans ces centres”.
L’étude a été menée en quatre étapes: en 2010, soit dix ans après les débuts des tirs de roquettes continus sur le sud d’Israël, en mars-avril 2014 (avant l’opération Bordure protectrice), en juillet 2014 (au cours de l’opération), et en mars-avril 2015, après elle. “Nous avons comparé les données des résidents de Sderot et de la région avec celles des personnes vivant à Ofakim et dans la région de Lakis” dit le Prof. Solomon. “A un certain stade de l’étude, lorsque les résidents d’Ofakim ont également été sous la menace, nous avons élargi la recherche à la ville de Or Akiva”.
“Les dommages les plus évidents ont été constatés chez les résidents de Sderot, qui ont vécu plus de pertes, à la fois personnelles et économiques, ont vu davantage de familles touchées, des amis, des maisons endommagées. Ils rapportent un grand sentiment d’impuissance ressenti lors des « alertes rouges », au cours desquelles ils se sentaient non protégés, et en grand danger pour eux et leurs familles. On retrouve chez eux à la fois des symptômes post-traumatiques classiques, mais également davantage de dépressions, d’insomnie, d’agitation et d’anxiété que, par exemple, chez les habitants d’Ofakim. Ces phénomènes, dus à la pression continue dans laquelle ils vivent, sont devenus chez eux une seconde nature. C’est-à-dire que les mécanismes psychologiques de l’anxiété et de la dépression sont activés chez eux aussi en période de calme relatif”.
Une détresse physique et psychologique
“Plus de 70% se sentent en danger vital et 72% ont dit se sentir impuissants face à la situation, ce qui est une terrible statistique. Un pourcentage très élevé également de personnes se sentait coupable, ce qui caractérise les situations de traumatisme. Vous n’êtes pas coupable de vivre à Sderot et qu’on vous tire dessus, mais les habitants pensent: ‘Pourquoi est-ce que je vis ici ? Je mets mes enfants en danger'”.
L’étude a également révélé que la détresse s’exprime aussi sur le plan physique. “Les personnes souffrent d’un sentiment de malaise et de divers problèmes de santé, de sensations de douleur”, dit le Prof. Solomon. “Ces phénomènes ont une grande importance s’ils persistent pendant de nombreuses années. Les personnes exposées à un stress à long terme vieillissent plus rapidement et meurent avant l’âge. En d’autres termes, il faut considérer les résultats de l’étude dans une perspective beaucoup plus large que celle de la détresse ressentie au moment présent “.
Selon l’étude, les femmes s’avèrent plus vulnérables que les hommes : “Elles sont d’une part plus conscientes de leur détresse, et de l’autre plus préoccupées non seulement par ce qui leur arrivent à elles, mais aussi aux personnes de leur environnement”. En outre, les populations qui ont moins de ressources financières et sont moins instruites sont davantage exposées. Autre élément important: la confiance dans la communauté et la famille: “Une personne qui pense que la communauté va le soutenir et que sa famille est une source d’aide réagit mieux. De même pour celles qui ont une plus grande flexibilité et d’aptitude à faire face aux changements “.
Développer la résilience
Les enfants, quant à eux, présentent des problèmes de comportement, d’attention, des crises de colère, de l’énurésie, des crises de pleurs. 85% des enfants souffrent de peurs, presque la moitié de dépression. “De nombreux phénomènes peuvent être décrits comme un comportement régressif. On note aussi des difficultés à se séparer et une dépendance excessive”.
Point positif cependant: les thérapies proposées dans les centres de résilience semblent faire leur effet: “Chez les adultes on relève une amélioration significative de tous les marqueurs étudiés. Chez les enfants la plupart des indicateurs se sont améliorés, à l’exception de la question du TDAH (Trouble de déficit de l’attention). Ce constat est inquiétant parce que le TDAH crée des dommages au fil des ans et peut avoir des implications futures pour la réussite à l’école ou au travail. Il est donc fortement conseillé de continuer à suivre ces enfants”, explique-t-elle.
Le Prof. Solomon conseille d’élargir les programmes de résilience : “Tout comme les vaccins construisent la résistance aux maladies, il existe toutes sorte de techniques par lesquelles il est possible de préparer les gens à faire face à des situations stressantes. Si nous avions suffisamment de ressources, il serait même bon de le faire pour tous les habitants du pays, mais c’est certainement nécessaire pour ceux de Sderot et de la région”.
Source: Site des Amis français de l’Université de Tel-Aviv
Photo du haut: Sarah Schuman/Flash90
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