Dans un discours dont la presse arabe a largement fait écho, le président turc Erdogan a accusé l’Europe d’avoir deux poids deux mesures, lorsqu’elle garde le silence face à la mise à mort par pendaison, le 11 mai dernier, de Motiur Rahman Nizami. Ce dernier était l’un des dirigeants du Jamaat e-islami, mouvement politique islamique qui partage l’idéologie des Frères musulmans. Nizami, âgé de 71 ans, a été déclaré coupable de génocide, viol et violences, lorsqu’il a soutenu les forces pakistanaises dans leur guerre contre le Bangladesh, en 1971. Cette guerre sanglante a entraîné la mort d’environ trois millions de personnes, et dix millions de personnes ont été déplacées. Erdogan a même honoré Nizam du titre de « Chahid » (martyr mort pour Allah au combat).
Ce n’est pas la première fois qu’Erdogan prend la défense de hauts responsables des Frères musulmans. L’année dernière, il a condamné avec force la condamnation à mort de Muhammad Morsi, le président égyptien déchu. À cette occasion, Erdogan a déclaré : « C’est Morsi qui est le président de l’Égypte, pas al-Sissi ».
Les Frères musulmans lui en sont reconnaissants. Leur maître spirituel, le cheikh Youssouf Qaradawi, a affirmé en 2014 : « L’union des Savants musulmans a déclaré que le Califat doit être instauré à Istanbul, car elle est la capitale du Califat… La nouvelle Turquie, qui intègre la religion et l’État, l’ancien et le moderne, ce qui est arabe et ce qui ne l’est pas, unit la « Oumma » [la nation musulmane] en Afrique et en Asie, en Europe, aux États-Unis et partout dans le monde. L’homme qui a fabriqué cette Turquie est Recep Tayyip Erdogan… C’est le dirigeant qui connaît son Dieu, qui se connaît, qui connaît son peuple, qui connaît la « Oumma », qui connaît le monde. Vous avez le devoir de le soutenir, de lui prêter allégeance, et de lui dire : Va de l’avant ! Je prédis qu’il va réussir, avec l’aide d’Allah, car Allah est avec lui, ainsi que l’ange Gabriel et que le Prince des croyants. ». Qaradawi a conclu son discours en déclarant qu’Erdogan était son candidat pour être le prochain calife de l’Islam, à savoir le dirigeant politique de la Nation musulmane. Le mois dernier, Qaradawi a béni Erdogan pour son soutien à la « résistance » palestinienne, pour ses voyages dans le monde en soutien à la position palestinienne, pour le Marmara et les victimes turques de ce bateau, ainsi que pour sa fidélité au Coran, à la Sunna et à la Charia (législation islamique).
Erdogan rencontre fréquemment les chefs terroristes du Hamas, invités d’honneur de la Turquie, et à leur tête Khaled Mashaal, chef de la branche politique du mouvement, avec qui il a eu un entretien en décembre dernier.
Contrairement à l’idéologie de l’État islamique, qui vise à imposer l’Islam par la violence, les Frères musulmans prônent « la conquête pacifique » du monde – à savoir par le biais de la prédication et la croissance démographique des Musulmans. C’est leur politique déclarée, et le cheikh Qaradawi a prédit qu’elle réussira là où les deux tentatives militaires de conquête (aux 8ème et 17ème siècles) ont échoué. Il se peut que réside là l’explication de l’exigence d’Erdogan d’ouvrir aux citoyens turcs les portes de l’Europe, en l’échange de l’arrêt du flux de migrants et de réfugiés par son territoire. L’Union européenne a donné son accord de principe d’exempter les Turcs d’un visa d’entrée, mais y a posé des conditions, dont la révision de la loi anti-terroriste turque. L’application de cet accord entraînerait probablement un afflux considérable de Musulmans turcs en Europe de l’Ouest. On estime aujourd’hui à 2-2,5 millions le nombre de Turcs en Allemagne, à un demi-million leur nombre en France, et aux Pays-Bas, et la Grande-Bretagne et l’Autriche hébergent chacune un quart de millions de Turcs.
On ne s’étonnera donc pas que de nombreux Européens s’opposent à cette exemption de visas.
De même, Israël, qui tente de renouer ses relations diplomatiques avec la Turquie, se doit de vérifier à la loupe, avec des clauses le garantissant, si l’intention de la Turquie est sincère, ou si elle ne vise qu’à sortir le Hamas de l’isolement dans lequel Israël et l’Égypte ont réussi à placer cette organisation terroriste.
Ephraïm Herrera est docteur en histoire des religions, diplômé de la Sorbonne et vient de publier « Les maîtres soufis et les peuples du livre » aux Éditions de Paris, ainsi que « Le Jihad, de la théorie aux actes » et « Étincelles de Manitou » aux éditions Elkana.