J’ai vécu dans la banlieue de Paris depuis l’âge de 5 ans jusqu’à mon Alya à l’âge de 18 ans. Le français est ma langue maternelle, et les images de Paris sont celles de mon enfance. Dans le cadre d’une recherche sur l’Islam, j’ai séjourné récemment dans la capitale française. Samedi matin, je suis allé prier dans une synagogue du quartier du Marais, à la limite des 3ème et 4ème arrondissements. En route, sur le mur extérieur d’une école primaire, j’ai vu une plaque à la mémoire des enfants juifs du quartier, arrêtés par la police française pendant la deuxième guerre mondiale, puis déportés et exterminés dans les camps nazis. La synagogue où j’ai prié porte le nom du rabbin Frankfurter, déporté et assassiné lui aussi durant la Shoah, ainsi que toute sa famille et qu’une grande partie de sa communauté. Aujourd’hui, c’est une synagogue sépharade, et les fidèles sont en majorité originaires d’Afrique du nord, à en juger par leur accent. Au moment de la lecture de la Torah, le responsable de la communauté a dit avoir à transmettre une information importante : « La semaine prochaine, a-t-il annoncé, se tiendra dans le quartier à 12h30 une manifestation pro-palestinienne, organisée par des partisans du BDS contre Israël. J’ai reçu des directives claires – la prière doit être avancée d’une demi-heure, afin qu’à l’heure de la manifestation, plus un Juif ne se trouve ni dans la synagogue, ni dehors dans la rue ». J’ai demandé aux fidèles : « La police ne vous protège pas ? Elle autorise des manifestations qui mettent en danger les Juifs, qui ne sont, de plus, pas forcément pro-israéliens ? ». La réponse unanime a été : « Les forces de l’ordre ne sont pas assez nombreuses pour garantir notre sécurité. ». J’ai demandé encore : « Si les manifestants avaient été d’extrême-droite, la manifestation aurait-elle été autorisée ? ». Pas de réponse des fidèles !… Depuis, on a appris que huit synagogues du centre de Paris avaient reçu les mêmes instructions.
Les Juifs de France se sentent menacés de tous côtés. En premier lieu, comme le montrent bien ces instructions aux synagogues, la menace vient d’organisations anti-israéliennes, dont de nombreux membres sont Musulmans. Ces derniers sont souvent antisémites dans le sens classique du terme : la majorité des Musulmans de France ont des opinions antisémites, et pas seulement antisionistes. En 2014, la moitié des actes à caractère racial ont visé des Juifs. Face à cette menace, les Juifs peuvent difficilement compter sur les forces de l’ordre et les services de sécurité de la République. En témoigne l’exode massif des Juifs des banlieues, à forte population musulmane, que ce soit vers Israël, ou vers d’autres régions plus sûres que les banlieues.
Emmanuel Macron, le surprenant candidat à la présidence, en tête des sondages, a récemment déclaré que la colonisation française [en Afrique du nord] avait été un crime contre l’humanité. Macron a bien pris des positions courageuses contre le BDS, mais nombreux sont ceux qui considèrent que sa déclaration sur le colonialisme vise à gagner le soutien des électeurs musulmans, auxquels il sera redevable.
Les Juifs de France craignent aussi la montée de l’extrême-droite. Marine Le Pen, deuxième dans les sondages, a déclaré que si elle était élue, elle interdirait le port de la kippa dans l’espace public. Elle a bien justifié cette décision comme le sacrifice qu’elle exige des Juifs, sur l’autel de l’égalité, pour pouvoir interdire en même temps aux femmes musulmanes le port du voile dans l’espace public. Mais, le doute plane sur sa sincérité, surtout au vu de l’antisémitisme ouvert de certains cadres de son parti.
Les nuages s’épaississent dans le ciel des Juifs de France. En Israël, malgré les menaces, le soleil brille : le verront-ils ?
Ephraïm Herrera est docteur en histoire des religions, diplômé de la Sorbonne et a publié « Les maîtres soufis et les peuples du livre » aux Éditions de Paris, ainsi que « Le djihad, de la théorie aux actes » et les deux tomes des « Étincelles de Manitou » aux éditions Elkana.