Qui sont les habitants du Mont des Oliviers? Pourquoi ont-ils choisi d’y établir leur domicile? Dans quelles conditions vivent-ils? Et se sentent-ils ”sacrifiés” pour que nous puissions vivre naturellement ailleurs à Jérusalem? Autant de questions que nous sommes allés poser à quelques familles francophones de Har Hazeitim.
Rav Raphaël Shnour
Le Rav Shnour est le Rav de la communauté de Maale Hazeitim. Il y vit depuis 15 ans, arrivé avec son épouse lorsque le quartier est sorti de terre. ”Nous étions un jeune couple, j’étudiais au Merkaz Harav. Nous cherchions un endroit où habiter qui réponde aussi à notre idéal. Lorsque nous avons vu l’annonce sur le projet immobilier de Maale Hazeitim nous n’avons pas hésité”. Ils ont aimé l’idée de vivre dans un lieu communautaire, qui ressemblait sur certains points à un yichouv, mais tout en restant dans la ville Sainte de Jérusalem.
Des craintes, le couple Shnour n’en a eu qu’une: ”Nous n’étions pas sûrs, pendant toute la durée de la construction, que le gouvernement donnerait son autorisation finale pour emménager. J’avais le sentiment que cela n’aboutirait pas: la deuxième intifada faisait rage, je voyais plein d’arabes construire autour, c’était surréaliste”.
Les considérations sécuritaires inquiètent moins le Rav Shnour. ”Nous sommes certes collés aux arabes, mais ils ne sont pas différents de ceux qu’on côtoie ailleurs à Jérusalem”, reconnait-il. Le quartier de Maale Hazeitim est fermé par une barrière de sécurité, il est constitué par plusieurs immeubles autour de cours intérieures et peuplé par une centaine de familles.
”Bien entendu, nous prenons nos précautions et la police est très présente. Il y a certaines période plus tendues que d’autres, notamment le Ramadan ou lorsqu’il y a des tensions dans le pays”. Dans ces situations, les jets de pierre et de cocktails molotov sont monnaie courante et les Juifs ont appris à se prémunir. Il faut aussi souligner que sortir à pied de leur quartier présente un risque que peu prennent.
La famille Shnour estime vivre normalement, malgré tout. ”La vie de quartier est très dynamique. Même si nous manquons parfois de place et de verdure et que les transports en commun ne fonctionnent pas toujours aussi bien qu’on le voudrait. Les enfants jouent librement à l’intérieur de notre quartier, nous avons beaucoup d’amis, beaucoup d’activités en commun. Nous avons un grand projet de construction d’un centre communautaire avec deux synagogues (ashkénaze et séfarade), une salle des fêtes, un jardin d’enfant. Nous espérons qu’il aboutira bientôt”.
Le Rav Shnour comprend que l’on puisse parler de “sacrifices” lorsque l’on évoque leur choix de vie mais ne vit pas du tout dans cette pensée. ”Nous avons une mission: mener une vie normale, montrer qu’Har Hazeitim, ce n’est pas qu’un cimetière, il y a de la vie. C’est aussi un pas vers la gueoula: acheter des maisons pour les Juifs et rétablir une vie normale partout à Jérusalem. Nous pouvons dire que nous réussissons: nous avons constitué une grande communauté et aucun appartement du complexe n’est libre!”.
Avital Bloch
Avital est née en Israël de parents français. Elle a grandi dans le quartier juif de la vieille ville de Jérusalem et s’y est installée après son mariage. ”A un certain moment, nous ne pouvions plus vivre dans le Rova, pour différentes raisons”, nous explique Avital, ”Nous avons alors décidé de venir à Maale Hazeitim, c’était au début du projet immobilier; Rosh Hodesh Nissan, il y a 14 ans”. Avital voulait rester proche du lieu de son enfance et Har Hazeitim était pour elle une solution optimale. ”C’était aussi une opportunité pour être partenaire d’une réalisation importante, d’un rêve de plusieurs générations”.
L’histoire personnelle d’Avital donne une dimension particulière à ce choix de vie. Son frère, Elhanan z”l, a été assassiné en 1991 par des terroristes arabes au cœur de la vieille ville de Jérusalem. C’est au cimetière du Mont des Oliviers qu’il repose depuis.
Avital ne cache pas son bonheur de vivre dans ce lieu, de s’émerveiller chaque jour devant la vue des murailles de Jérusalem. Elle remercie pour avoir le mérite de vivre ici, même si, comme elle le dit ”il y a un prix à payer”. En effet, elle a élevé ses enfants dans une ambiance certes biblique mais aussi un peu différente de celle dans laquelle les adolescents grandissent. ”Je ne les laissais pas sortir la nuit, ni pendant les périodes tendues. Je tenais à ce qu’ils soient toujours accompagnés”. Elle reconnait qu’il s’agit de son approche personnelle et que tout le monde dans le quartier n’agit pas de la sorte. L’une de ses filles mariées habite près d’elle aujourd’hui: ”pour les familles avec des enfants petits, qui n’ont pas le besoin de bouger comme des adolescents, c’est un lieu de vie idéal”. Mais pour autant, elle n’a pas peur: ”Notre quartier est un lieu sûr, les forces de sécurité sont présentes et nous avons des transports en commun. Il est accessible et agréable”.
Ceci étant dit, ne parlez pas de sacrifices à Avital: ”Il est vrai que si nous n’étions pas ici, il serait plus difficile de vivre ailleurs dans Jérusalem. Mais je ne pourrais pas vivre en pensant que je me sacrifie. J’aime ma vie à Maale Hazeitim et j’aimerais que l’attachement de l’ensemble du peuple soit encore plus fort même si on note depuis quelques années un intérêt renouvelé pour Har Hazeitim”.
Photo: Michael Jacobson
Rav Morde’haï Michaël Sultan
Le Rav Sultan habite à Maalot David depuis 4 ans. Arrivé de Kohav Yaakov, il a toujours été attiré par ce lieu: ”cela fait 15 ans qu’avec ma femme, nous venions régulièrement nous promener sur Har Hazeitim. C’est la porte de Jérusalem, un lieu qui synthétise le spirituel et le national”.
Tous les membres de la famille ont très bien vécu le passage du Yishouv à ce quartier particulier de la Capitale.
“Maalot David est collé au quartier arabe Ras El Amoud”, nous décrit le Rav Sultan, ”juste en face de Maale Hazeitim. Nous sommes 15 familles et nous vivons dans une ambiance conviviale”.
Lui aussi reconnait que le voisinage n’est pas toujours très accueillant. ”Quand nous sommes arrivés, les Arabes ont manifesté violemment leur opposition à notre présence: nous avons subi plusieurs attaques avec des pierres par des hommes cagoulés”. Mais petit à petit, ils se sont résignés et aujourd’hui, mis à part, quelques périodes tendues, il fait bon vivre à Maalot David. Comme Maale Hazeitim, les habitations sont dans un lieu fermé et gardé. ”Nous ne vivons pas dans la peur, y compris les enfants”. Anecdote intéressante, après la déclaration de Donald Trump sur Jérusalem, les habitants d’Har Hazeitim s’étaient préparés à subir des attaques et… ”Il ne s’est absolument rien passé. Nous pouvons même témoigner que c’est l’une des périodes les plus calmes que nous ayons connues ici”. Les relations avec les Arabes sont très limitées. Certains achètent des fruits et légumes chez eux, un garagiste réputé pour son honnêteté est parfois sollicité, mais cela s’arrête là.
Le Rav Sultan réfute le terme de courage: ”Je préfère parler de Emouna. Nous vivons en Eretz Israël, tout comme le font les habitants du reste de Jérusalem ou de tout autre endroit du pays”. A la différence près, que sur le Mont des Oliviers, règne une atmosphère spirituelle unique: ”Nous surplombons le Mont du Temple, c’est par là que le Machia’h arrivera. Quand nous sommes arrivés, j’ai dit à mes enfants: chaque seconde, Machia’h peut arriver: nous verrons tout”.
Photo: Michael Jacobson
Chmouel Belicha
Chmouel Belicha, habitant de Maale Hazeitim depuis deux ans, ressent aussi cette particularité. ”J’ai fait mon alya de Suisse, il y a 15 ans. J’ai habité à Silwan au début de mon mariage, puis je suis parti au kollel de Kohav Yaakov avant de revenir à Har Hazeitim. Lorsque je vis ici, que je prie ici, mon alya, mon parcours prend tout son sens”.
Chmouel a choisi Maale Hazeitim plutôt que de se réinstaller à Silwan, parce que lui et son épouse pensaient que ce lieu était plus adapté pour élever leurs enfants: ” A Silwan, il fallait prendre une jeep blindée dès que l’on voulait sortir. Maale Hazeitim regroupe beaucoup de familles, il y a des espaces pour les enfants”. Pour eux, pas de problèmes de sécurité: ”Je rentre souvent à pied. C’est vrai qu’au début, cela fait bizarre de se promener dans la rue entouré d’Arabes. Nous avons sinon des transports en commun, des navettes scolaires pour les enfants qui vont à l’école dans la vieille ville. Nos quartiers sont fermés et à l’intérieur, il n’y a aucune raison de ne pas se sentir en sécurité”. Il reconnait, cependant, que si, lui, fait des trajets à pied, il est difficile dans l’absolu de marcher à l’extérieur de Maale Hazeitim: ”Nous allons au Kotel à pied, c’est à une petite demi-heure et sur un parcours présentant peu de risques, mais c’est à peu près tout ce qu’il est concevable de faire en famille”.
S’il avoue qu’il fallait du courage pour vivre à Silwan, il est tout à fait serein à Har Hazeitim. Et même plus: ”Pour moi, c’est un mérite de vivre ici, c’est là que notre histoire se déroule”.
Guitel Ben-Ishay