Et si je vous disais que je tiens entre les mains un texte écrit il y a à un peu plus de 3000 ans et qui décrit dans le détail la Alya des juifs du Yémen en 1949, celle de ceux d’Ethiopie en 1984, celle des « Maapilim » à l’époque de l’Exodus entre 45 et 48, celle des rescapés des camps de la mort ainsi que celle des juifs russes après la chute du Mur de Berlin ?
Et si je vous disais que ce texte raconte non seulement la Alya de tous ces juifs délivrés des dangers qu’ils couraient dans leur pays respectif, mais qu’en plus, il décrit très précisément ce que tous ces rescapés ont trouvé en arrivant au Pays et la manière avec laquelle ils ont réagi face à cette situation ?
Et si je vous ajoutais qu’en plus de décrire ces différentes Alyot et la réaction de ces “olim” à leur arrivée en Terre Sainte, le texte répond très clairement à la question qui divise encore aujourd’hui (mais de moins en moins) le monde religieux : doit-on réciter le Hallel à Yom Haatsmaout ?
Ce texte, que je vous invite à (re)découvrir en courant chercher la première Bible qui vous passe sous la main, c’est le 107eme Psaume du livre des Tehilim !
Les 3 premiers versets plantent le décor :
“‘Louez Dieu car il est bon et sa grâce est infinie’, diront ceux qu’Il a délivrés de leurs ennemis en les rassemblant des pays de l’Est, de l’Ouest, du Nord et de la mer“. L’histoire juive a connu 3 retours d’Exil : celui d’Egypte à l’époque de Moshé, celui de Babylone, à l’époque de Cyrus et celui dont nous sommes les témoins depuis maintenant une centaine d’années. Or notre texte ne parle pas des deux premiers puisque le peuple était alors exilé en un seul lieu. Il s’agit donc bel et bien ici de notre retour, le seul de notre histoire à concerner des pays situés aux 4 coins du monde !
Vient ensuite l’évocation de 4 catégories particulières de Juifs, parmi tous ceux qui participeront à ce grand retour :
- Les rescapés du désert (versets 4 à 9) :
“Ils errèrent dans le désert, par des chemins désolés, sans trouver de ville habitée. Eprouvés par la faim et la soif, ils sentaient leur âme défaillir… Mais Dieu les sauva de leurs angoisses … Il les conduisit dans une ville habitée… Qu’ils rendent grâce à l’Eternel pour ses bienfaits“. Ora habite notre village depuis des décennies. Elle raconte comment, enfant, elle quitta à pied avec sa famille son village du Yémen. “Avant d’atteindre Aden, nous avons dû marcher pendant plus de 2 ans ! Nous avons traversé des déserts et encore des déserts… Mes parents, comme beaucoup d’autres, sont morts en route. A Aden, j’ai été prise en charge par l’Agence Juive et je suis arrivée, avec deux de mes frères, en Erets Israël, Dieu soit loué ! …”
- Ceux qui sortent de prison (versets 10 à 16) :
“D’autres demeurèrent … enchainés dans la tristesse et dans des liens de fer… Personne pour les secourir… Mais Dieu les sauva de leurs angoisses… Il les retira des ténèbres, et rompit leur lien… Qu’ils rendent grâce à l’Eternel pour ses bienfaits… car il a brisé les portes d’airain, abattu les verrous de fer“. Les Juifs du silence croupissaient dans les geôles staliniennes ou dans cette prison à ciel ouvert qu’était devenue pour eux l’Union Soviétique, jusqu’au jour où le rideau de fer se brisa et que la majorité des juifs russes prirent à leur tour le chemin de la terre promise.
- Ceux qui reviennent des portes de la mort (versets 17 à 22)
“D’autres furent accablés… malades au point d’éprouver du dégout pour toute nourriture… Ils étaient arrivés jusqu’aux portes de la mort… Mais Dieu les sauva de leurs angoisses… Il leur prodigua la guérison et les fit échapper de leurs tombeaux. Qu’ils rendent grâce à l’Eternel pour ses bienfaits !” Relisez l’intégralité de ces versets dans le texte. Comment ne pas penser aux rescapés des camps de la mort ?
- Ceux qui finirent par accoster (versets 23 à 32)
“D’autres voguèrent dans des bateaux sur la mer, poursuivant leur besogne dans l’immensité des eaux… Un vent de tempête soulevait les vagues… Dieu les sauva de leurs angoisses… Les vagues apaisèrent leur fureur…Il les conduisit à destination et ils s’en réjouirent. Qu’ils rendent grâce à l’Eternel pour ses bienfaits !” Combien de fois les Anglais provoquèrent-ils la tempête sur ces rafiots chargés de réfugiés en cherchant à empêcher leur débarquement, lorsque ce n’était pas une véritable tempête qui risquait de faire chavirer leurs frêles embarcations ?!
En arrivant finalement à bon port, les rescapés n’eurent pas le loisir de profiter d’un repos bien mérité ! Ceux qui crurent trouver en Israël la terre où étaient censés couler le lait et le miel durent bientôt déchantés : “Les fleuves étaient devenus des déserts, les sources jaillissantes ? Des terres arides ! Le sol fertile s’était transformé en plage de sel !” (versets 33 et 34). Mais les Juifs qui avaient déjà affrontés tant d’épreuves ne désespérèrent pas. Ils retroussèrent leurs manches et Dieu les aida à reconstruire le pays : “Le désert redevint une oasis et la terre aride une source jaillissante ! Les affamés que Dieu venait d’installer bâtirent des villes vivantes. Ils semèrent dans les champs, firent pousser des vignes, portèrent d’abondantes récoltes ! Dieu leur octroya sa bénédiction, ils devinrent très nombreux et leur bétail ne diminua plus… Il releva le malheureux de sa misère, multiplia les familles nombreuses !” (versets 35 à 41).
Quant à savoir si, après avoir été témoins de tout cela, il convient ou non de louer l’Eternel, la question ne semble pas même effleurer l’esprit du psalmiste ! Lequel conclut, tout naturellement : “Les gens droits voient tout cela et se réjouissent ! Les malveillants ne peuvent que se taire. Tout homme sage ne peut que constater tout cela, observer les bienfaits de Dieu!” (versets 42 et 43).
Pas étonnant que dès 1948, le grand rabbinat d’Israël décida que c’est ce psaume qui chaque année ouvrirait les prières de Yom Haatsmaout !
Arrêtez-moi si je dis des bêtises !
H’ag sameah’!
Rav Elie Kling