Mireille Karsenty est psychosociologue : professionnelle spécialisée sur l’individu au sein du groupe que ce soit en couple, en famille, en société, en entreprise, etc. Elle aide ses patients, des personnes au développement tout à fait normal, à stimuler leurs capacités sociales afin de développer leur bien-être.
Elle est aussi conseillère conjugale et s’occupe également des célibataires qui peinent à trouver leur âme sœur. De la rencontre à l’épanouissement du couple marié, elle accompagne tous les profils. En cette période de Tou be Av, elle nous fait profiter de son expérience de plus de 20 ans et de ses précieux conseils.
Le P’tit Hebdo: Est-ce que la façon dont on va rencontrer notre conjoint fait partie des éléments déterminants au regard de l’avenir de notre couple?
Mireille Karsenty: La réussite d’un couple ne dépend absolument pas de la façon dont celui-ci s’est formé. Aujourd’hui, il existe une multitude de moyens de rencontrer son futur conjoint: rencontres organisées, participation à des évènements, des activités favorisant l’élargissement du cercle de connaissances, bénévolat, internet. L’idée qui sous-tend tous ces moyens est de ne pas rester isolé et cela est surtout valable lorsque l’on entre dans la vie professionnelle. Consulter, se faire aider pour surmonter son célibat permet de devenir plus réceptif à des personnes que l’on n’aurait même pas remarquées sinon et qui pourtant nous conviennent.
Lph: Comment partir sur de bonnes bases pour garantir au maximum la réussite de notre couple?
M.K.: Quand un couple s’engage pour la vie, ce sont aussi deux familles qui se retrouvent liées, deux univers, deux cultures parfois opposés. D’où la délicate question de comment bien gérer les deux familles?
La réussite d’un couple dépend avant tout de la connaissance de soi-même. En effet, la plupart du temps, ce qui nuit à la relation de couple voire à son commencement, c’est le décalage entre les besoins conscients et nos besoins réels.
Je prendrai l’exemple de cette jeune fille de 28 ans qui après de nombreux chidou’him n’avait pas encore trouvé son conjoint. Elle était religieuse et d’un certain niveau intellectuel et recherchait quelqu’un qui remplisse également ces deux critères. Consciemment elle avait le sentiment que seul un tel homme lui conviendrait. Mais son réel besoin, celui qui lui était inconscient était autre. En fait, en présence de ce genre de garçons, elle s’ennuyait… Il lui manquait la tendresse, l’échange affectif que son inconscient lui réclamait. Finalement, elle a rencontré quelqu’un qui n’avait pas une profession dite ”intellectuelle” et ils vivent aujourd’hui une vie conjugale épanouie.
La base de toute relation réussie est donc de commencer par se découvrir soi-même.
Lph: Quelle est l’importance qu’il faut accorder aux sentiments avant le mariage?
M.K.: Pendant longtemps, on a cru que l’amour seul expliquait le bonheur à deux. Aujourd’hui, j’ose remettre en question cette toute-puissance de la passion. De la même façon que l’amour avant le mariage n’est pas une garantie absolue de vivre heureux jusqu’à 120 ans, ainsi l’absence de sentiments passionnés avant de s’engager ne signifie pas que le mariage est voué à l’échec. Certains moteurs sont nécessaires pour permettre à votre couple de s’inscrire dans la durée : la tolérance, des valeurs communes, un lien d’amitié, des paroles partagées, des projets et des rêves.
La relation à deux se construit sur trois niveaux qui, en fonction des périodes, des besoins de chacun, vont alterner tout au long de la vie du couple. Ce sont toutes des relations d’amour mais à des degrés différents.
Un couple se base sur la notion de nécessité de survie: la reproduction. C’est l’association du féminin et du masculin, l’attirance naturelle. Mais cela ne suffit pas.
Le deuxième niveau est celui que la Torah nous décrit lorsque l’homme est appelé ”homme” (Ish) et la ”femme”, ”femme” (Isha). C’est le niveau culturel, on entre dans la construction d’une relation avec une dimension davantage intellectuelle, plus élaborée.
Enfin, on a le niveau d’une relation d’altérité, celui qui correspond à la nomination de l’homme et de la femme (Adam et Eve). Le couple s’inscrit dans une relation dans laquelle il y a une reconnaissance de l’autre comme sujet à part entière, une acceptation du conjoint comme un être différent, singulier. Accepter l’altérité de l’autre sans perdre notre propre singularité. Cette étape permet de ne pas rester des paires mais de former véritablement un couple.
A partir de ce schéma, il existe plusieurs possibilités d’interactions relationnelles qui lorsqu’elles sont synchronisées ou en décalage sont source de bonheur ou de conflits. C’est un réglage subtil et constant qui permet d’aboutir à une harmonie conjugale.
Lph: Comment gérer l’évolution des sentiments et donc de la nature de la relation d’un couple tout au long de sa vie: de jeunes fiancés à grands-parents en passant par le stade de jeunes mariés et de parents?
M.K.: Il faut s’engager à passer une étape fondamentale qui est de transformer l’amour intense des débuts, la lune de miel sans laquelle rien ne se fonde, en lien durable. Progresser, c’est possible. Cette notion de « travail », de plus en plus évoquée par les thérapeutes de couple, a de quoi rebuter. Elle paraît si éloignée des idéaux romantiques, du rêve et de la passion qui nous attirent depuis toujours ! Peut-être vaut-il mieux penser en termes de capacités relationnelles, de savoir-faire, le couple étant alors un espace où chacun doit apprendre et progresser non seulement personnellement, mais aussi comme compagne ou compagnon. Les couples heureux seraient alors ceux qui ont accepté de s’investir dans un tel apprentissage…
Avoir des enfants, une vie professionnelle remplie, font que l’on quitte progressivement la relation fusionnelle que l’on pouvait avoir. Il faut désormais faire des efforts pour que les temps partagés soient réguliers et préservés. Le couple doit rester en tête de nos priorités même si l’on est plus 24h/24 avec son conjoint.
Le temps parental, notamment, ne doit pas empiéter totalement sur le temps conjugal, à l’image de ces couples qui, même lorsqu’ils sortent seuls, ne parlent que de leur progéniture.
Lph: Faut-il être 100% nature avec son conjoint par peur de se considérer comme soumis?
M.K.: Il existe des relations de soumission, des relations autoritaires, ou parfois perverses. Elles sont nocives.
Ceci étant dit, je pense que trop de transparence, trop de franchise nuisent aussi au bon fonctionnement de la relation conjugale.
La Torah nous enseigne une hiérarchisation des valeurs. En l’occurrence, le Shalom passe avant le Emet (la vérité). Il est important d’avoir une forme de retenue, y compris avec son conjoint. Si on énumère toutes nos émotions, le risque est d’être en conflit perpétuel.
Lorsque l’on se trouve en face d’une personne très importante pour soi alors on surveille son comportement. Si on le fait pour des personnes éloignées, à plus forte raison doit-on s’efforcer de le faire pour son conjoint.
Il faut savoir temporiser, choisir la façon et le moment de dire les choses. Programmer des temps de régulation pour exprimer nos émotions en toute franchise.
Je veux souligner qu’une des dimensions importantes dans une famille, qui restera imprégnée dans la mémoire de nos enfants n’est pas le discours que l’on tient mais l’ambiance générale que l’on crée à la maison.
Alors oui, parfois il faut se retenir, cela ne signifie pas être soumis, c’est au contraire un choix libre de se diriger vers un objectif élevé, c’est un hessed que l’on se fait à soi-même et à son conjoint. Il faut toujours se demander: pourquoi je parle? Quel est mon objectif? A qui je m’adresse ? Ainsi, on prend en considération les conséquences de ses remarques. La très grande proximité et l’intimité au sein d’un couple ne dispensent pas de respecter son conjoint, de se conformer aux règles de base de courtoisie et de retenue.
Lph: Les couples d’aujourd’hui ont-ils plus de difficulté à réussir leur vie conjugale sur le long terme?
M.K.: Les couples d’aujourd’hui sont plus exigeants. En effet, beaucoup de notions de psychologie ont été diffusées, rendues accessibles au grand public. On accorde de plus en plus d’importance aux émotions, à la notion de communication. Aujourd’hui on nous vend le bonheur facile, sans effort (télé-réalité, etc.). Cette mentalité va à l’encontre des valeurs de travail sur soi et du sens de l’effort qui sont les clés de la réussite conjugale.
Le bonheur est une construction permanente. Qui sont-ils, ceux que nous qualifions d’heureux en couple ? Des amoureux longue durée, qui font passer leur relation avant tout, et savent l’améliorer jour après jour.
Mireille Karsenty
Psychosociologue, conseillère conjugale
02-6527545
Propos recueillis par Guitel Ben-Ishay