Le livre du « Kuzari », rédigé par le Rav Yehuda Halevi il y a plus de 900 ans, est considéré comme un grand classique de la philosophie juive médiévale. La centralité très moderne qu’il accorde au pays d’Israël fait qu’il est très étudié au sein des Yeshivot du mouvement national-religieux. Il est sans doute la principale source d’inspiration médiévale de la pensée juive du XXe siècle et offre les réponses aux questions fondamentales de notre identité hébraïque. Le débat concernant la place des Hébreux et d’Israël dans le monde nous oblige à mieux comprendre un problème supplémentaire. Deux points de vue s’opposent parmi les hommes, les deux sont naturels, et pourtant l’homme doit tenter de s’affranchir, avec sagesse, de l’un et de l’autre.
Le premier est le jugement de l’enfant qui tranche tout de manière très personnelle et reste impuissant face à la nécessité du regard objectif. Faciliter un certain ‘lâcher prise’, quant à cette appréciation de la réalité, demeure l’un des objectifs essentiels de la marche éducative. Les parents-éducateurs essayeront d’enseigner à l’enfant, depuis les entendements mêmes de son être profond, comment se libérer du circuit égocentrique et ainsi pouvoir rejoindre les autres. Supposons un instant que notre petit bonhomme soit parvenu au but recherché et ait même dépassé la phase primitive de son égocentrisme. Le voici, maintenant, apte à une évaluation plus relative de la réalité et une capacité à mieux estimer les nouvelles conditions de vie. Tout cela grâce à cette authentique perspective qui l’entraîne bien au-delà de ses jugements subjectifs. Le processus éducatif a été couronné de succès, toutefois, à ce stade, un tout autre problème peut se poser et ce sera là notre second sujet.
Nous constatons une certaine croissance, en Occident, d’individus très subtils de par la quantité de connaissances acquises mais, par là-même éloignés, jour après jour, des perceptions relatives aux qualités émotionnelles. N’exigeons pas de la connaissance théorique de nous offrir une manière d’être qui n’est pas, disons-le, de son ressort le plus strict. Il existe d’une part, l’objectivité des théories et d’autre part la subjectivité de l’intime. Malheureusement, une éventuelle conjugaison des deux n’est pas toujours au goût du jour, puisque la pensée et la sagesse ne peuvent, encore, être le sujet des sciences. Les matières solides, comme la physique par exemple, ne sont ni vertu, ni conscience, elles sont une érudition basée sur l’approche objective de ces dernières. L’Humain présent chez le scientifique a très certainement une perception de l’existence qui lui est propre, une sensibilité pour mieux s’habiter.
Toutefois, à juste titre, cette présence tient plus, de par sa subjectivité, de la pensée que du pur savoir froid. Les valeurs comme les vertus se témoignent forcément au cours de notre vécu réel. L’identité morale de la manière d’être, l’Homme ne peut se refuser à la vie, elle ne pourrait se souffrir si elle ne tenait que du seul savoir objectif. Sans ce label de particularisme soudé à la pensée Divine comme au projet Divin, le peuple d’Israël deviendrait une banale religion dogmatique et non point le peuple porteur d’espérance pour toute une Humanité.
L’Occident se retrouve aujourd’hui dans une insuffisance à pouvoir rallier la réponse subjective initiale, celle de l’Homme pour l’être qu’il est. Ils sont trop dans le doute, ils soupçonnent cette subjectivité et demeurent au sein de leur peurs et de leurs frayeurs si souvent infondées. L’Homme, au singulier mais aussi au pluriel, est malade et le voici souffrant, c’est pourtant bien lui qui appréhendait la raison comme source de toutes les vérités. L’« objectivité » est une vraie pathologie. Il s’agit de cette maladie où l’individu endure nombres de maux car il s’est épris de l’objectivité, c’est-à-dire de la raison exacerbée. Cependant, la réalité ne laisse personne indiffèrent et les réponses exigées sont souvent dérangeantes. Or elles font surtout appel à cette face subjective de nous-mêmes, seule à pouvoir sauver un devenir où, grâce au cœur, la raison se sent conjuguée. Sa propre réponse subjective, il le sait, ne peut pas être justifiée car elle provient des profondeurs de sa confiance, de sa fidélité et de sa vérité pour l’Éternel D.ieu d’Israël. Il s’en méfie tout simplement parce qu’elle est sienne.
En effet, nous sommes confrontés en diverses et nombreuses occasions à une mondialisation des critiques les plus acerbes et les plus mensongères de nos adversaires. Devant une telle levée de boucliers au nom de la raison démographique, territoriale et humaine, ils foisonnent les douteux, les honteux, Rabbi Yehuda Halevy parlera de la nation méprisée. On se dédaigne et se critique du haut des tribunes de l’Internationale antisioniste, ceux-là deviennent les encensés de cour sans aucune honte sur leur visage cramoisi. Certains tentent de survivre tout en se dépréciant, d’autres se réfugient sous une forme d’auto-défense mais, au fil des ans, ils sont de plus en plus nombreux à relever le défi du cœur à l’ouvrage, de la foi en l’idéal.
Ils foisonnent ceux qui, aujourd’hui, sont capables d’apporter une réponse aussi subjective quant à l’assurance de leur Foi rassurée. L’interprétation ragaillardie après le retour sur terre se veut constructrice, élaboratrice d’une nouvelle approche d’un Judaïsme, non plus comme religion d’un culte, mais comme une Torah de vie. Notre nécessaire liberté doit traverser les épreuves de la re-connaissance et de la re-naissance, elle nous aide à sortir du provincialisme galoutique où la survie était le seul moteur. En ces moments de délivrance, la vérité de cette nouvelle réalité se déclare, se chante, se prie et s’exprime à haute et intelligible voix. Parfois, elle semble hautaine, fière de ses valeurs retrouvées, ses yeux sont emplis de la grandeur et de la beauté inhérente à la situation propre de ce peuple qui fut pendant si longtemps si sale.
La comparaison entre la Nation d’Israël et les autres grands courants monothéistes nous apprend que les Hébreux, malgré leur petit nombre, ne sont guère une « tribu » insignifiante ou une « erreur statistique » parmi les genres de la création. Les Hébreux sont porteurs d’un message universel, ils en prennent conscience au vu et au su de leur nouvelle place au sein du concert des nations. Au présent de leur Histoire, ils doivent cesser toute méfiance d’eux-mêmes, ils doivent s’apprécier à juste titre à travers le prisme de la lumière vraie. C’est le début de leur reconquête, de leur remise à jour de la Nation méprisée.
De toute évidence, l’outil littéraire laissé par notre maître Rabbi Yehuda Halevy, le « Kouzari », nous familiarise entre autres avec ces questions éternelles et, grâce à des yeux grands ouverts, avec la dure réalité d’Israël. Dans le monde réel, une terrible bataille est constamment engagée entre les chevaliers de la Chrétienté et la cavalerie de l’Islam, le peuple d’Israël se retrouve souvent, malgré lui, au centre des attentions et des intérêts mondiaux. Tout écrit, toute réflexion, toute pensée, hier comme aujourd’hui, ne peuvent éviter le traitement de ce sujet si pointu dans sa réalité historique contemporaine.
Le Kuzari constitue une vision et une prophétie concernant l’avenir de la Race humaine tout entière, le livre est construit autour de l’émulation des Khazars pour une conversion de leur nation à la foi d’Israël sans que ce dernier ne soit prosélyte. Le récit tend à figurer l’ensemble de l’Humanité durant l’ère messianique, ce temps où les prophéties Bibliques s’exauceront.
L’ouvrage tient à rétablir cet espoir ! Il nous convie, tout au long du dialogue entre le sage et le roi, à découvrir un homme, honnête et droit, en quête de l’unique Divin et de Sa vérité. Cet homme est le symbole de toute une Humanité subjective, d’un monde qui prend à cœur l’espérance d’une rédemption où la raison du Créateur s’épancherait logiquement sur tous.
Extrait du nouveau livre, à paraître, de Rony Akrich : « L’Identité morale de l’Être Hébreu »
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