Je marche dans la rue, perdu dans mes pensées tout en regardant les uns et les autres: j’aperçois quelqu’un parlant à haute voix, l’oreille collée à son téléphone portable. Un autre concentré sur l’écran du même appareil, couvert d’un capuchon et coupé du reste du monde qui, tout en se promenant, regarde la dernière vidéo qu’on lui a envoyée sur son WhatsApp, ou lit le texto qu’il n’aura pas le temps de faire (soi-disant) chez lui. Je demande mon chemin à un troisième quidam qui ne m’a pas entendu et qui me demande de répéter tout en se libérant d’écouteurs invisibles. Je rencontre un ami et nous commençons une conversation cordiale lorsque soudain, je me rends compte qu’il ne me parle plus mais répond à un appel téléphonique, me laissant légèrement stupéfait. Avez-vous déjà vécu cette scène?
Grâce aux nouvelles technologies, partout dans le monde et très rapidement, les comportements se modifient. On aurait pu croire qu’en facilitant les communications, la société deviendrait plus ouverte et le contact plus aisé. Il n’en est rien et de façon paradoxale, j’ai l’impression que nous vivons de plus en plus cloisonnés. Malgré tous les avantages qu’elle comporte, la technologie a créé des relations virtuelles, “réseaux (prétendument) sociaux”, où le contact humain n’est plus nécessaire, et qui risque d’engendrer l’indifférence. Psychologue en herbe, je dirais que ce repli provoque une peur du vide que l’on a fait autour de soi. Cette peur nous incite à combler ce manque par … un autre manque puisque nous faisons confiance à un système d’amitié impersonnel et fictif (Facebook, twitter et autres).
En extrapolant un peu plus, nous dirions que ce phénomène individualiste fait tache d’huile sur toute la société qui semble avoir évincé le besoin naturel d’échange et de partage. Tout se passe comme si nous avions appris à nous mêler “de ce qui nous regarde” et rien que “de ce qui nous regarde”, de peur d’être intrusif, mais surtout de peur de voir l’autre zyeuter dans notre jardin secret.
Placé devant ce fait, on a substitué à la solidarité familiale et de voisinage une solidarité collective, mais qui ne peut répondre à tous les besoins. D’un côté, la société devient de plus en plus institutionnelle en prétendant répondre à l’ensemble de la population mais curieusement, elle exige des uns et des autres d’être de plus en plus responsables tout en fermant ses portes devant chaque cas d’espèce.
Ai-je la nostalgie du passé? Peut-être. Mais ce qui est certain, c’est que je suis à la recherche d’une relation plus authentique, plus réelle. Le propre du Judaïsme est non seulement d’aller au-devant de l’autre mais surtout d’essayer de se mettre à sa place: si j’étais dans sa situation, aurait-il besoin de moi? A propos des ténèbres, la neuvième plaie qui a frappé les Egyptiens, il est écrit: “On ne se voyait pas l’un l’autre et nul ne se leva de sa place” (Ex. 10: 23). Un maître du Hassidisme explique qu’il n’y a pas ténèbres plus épaisses que celles où l’un ne voit pas l’autre, où l’on ne veut pas voir l’autre.
Dernièrement, j’étais invité à une réception où les salades étaient disposées sur un plateau tournant au centre de la table. En un tournemain, la salade que l’on désire se présente devant vous. Système ingénieux qui évite aux convives de se passer les plats … et de lier conversation.
Yaakov Levi
Rav Kehilath Atrid (Arnona Hatse’ira, Jer.)